Azteca
inspiré :
mon père.
— Ayyo , avec ma permission et avec plaisir », approuva
le professeur. Dans la classe, on entendit également un murmure collectif
d’approbation, comme si tous connaissaient déjà les œuvres du père-poète.
D’après ce que je vous ai dit de l’écriture pictographique, vous devez
vous rendre compte, frères révérends, qu’elle s’adaptait mal à rendre la
poésie. Nos poèmes vivaient par la parole ou sinon ils n’existaient pas du
tout. Les gens qui avaient apprécié un poème le retenaient et le répétaient à
une autre personne qui, à son tour, le redisait. Pour aider la mémoire, les
poèmes étaient généralement construits sur un rythme de syllabes régulier et de
telle manière que le même son revienne à la fin de chaque ligne.
Sur les papiers du visiteur il n’y avait donc que les mots essentiels
pour faciliter le souvenir et ne rien oublier, et pour rappeler les passages et
les mots qu’il fallait accentuer. Le papier qu’il avait donné au petit tambour
ne portait que des traits de pinceau d’épaisseurs différentes, assemblés ou
espacés de façons diverses. Ils indiquaient à l’enfant le rythme à battre sur
son tambour pour accompagner le récitant. Parfois, ce n’était qu’un murmure,
parfois un grand accent, parfois une légère vibration comme le battement d’un
cœur, pendant les silences entre les lignes.
Les poèmes récités et psalmodiés ce jour-là étaient tous très bien
tournés et doucement rythmés, mais ils étaient légèrement empreints de
mélancolie, comme lorsque l’automne vient chasser l’été. Après un faisceau
d’années, sans le secours des signes pour me rafraîchir la mémoire, ni du
tambour pour marquer les temps et les pauses, je m’en souviens encore :
J’ai composé un chant en l’honneur de la vie,
Un monde aussi éclatant que la plume du
quetzal
Aux cieux de turquoise au soleil d’or,
Aux ruisseaux de jade, aux jardins en fleurs…
Mais l’or peut fondre et le jade se briser,
Les feuilles jaunir et les arbres tomber,
Les fleurs se faner et leurs pétales se
disperser.
Le soleil va bientôt se coucher, la nuit
s’approche.
Voyez comme la beauté ternit et comme nos
amours se refroidissent.
Les dieux s’enfuient, leurs temples tombent en
ruine.
Pourquoi ma chanson me brise-t-elle le cœur
comme un couteau ?
Une fois que la séance fut terminée, l’auditoire attentif se leva et se
sépara. Certaines personnes se promenaient seules, répétant plusieurs fois les
poèmes afin de les garder dans leur mémoire. J’étais de ceux-là. D’autres
s’empressaient autour du visiteur, embrassant la terre et l’accablant de
compliments et de remerciements. Je marchais en rond dans l’herbe, la tête
penchée et me récitant le poème que je viens de vous dire, lorsque le jeune
prince Saule s’approcha de moi.
« Je t’ai entendu, Tête Haute, me dit-il. C’est le poème que je
préfère, moi aussi. Il a fait germer dans ma tête un autre poème. Veux-tu
l’entendre ?
Je serais très honoré d’être le premier », lui répondisse et voici
ce qu’il me récita :
Vous me dites que je dois mourir
Tout comme les fleurs que je chéris
Que rien ne restera de mon nom
Que personne ne se souviendra de mon être
Mais toujours demeureront les jardins que j’ai plantés
Et les chansons que je chante seront toujours chantées !
« C’est un joli poème, Huexotzin, et il est sincère. Le Seigneur
Professeur l’approuverait certainement. » Ce n’était pas de ma part une
basse flatterie, car vous voyez bien que je m’en souviens encore. « En
fait, poursuivais-je, il aurait très bien pu avoir été composé par le grand
poète dont nous venons d’entendre les œuvres.
— Allons, allons, Tête Haute, gourmanda-t-il, personne n’égalera
jamais l’incomparable Nezahualcoyotl.
— Qui ?
— Tu ne savais pas ? Tu n’avais pas reconnu mon père ?
Il récitait les œuvres de son père, mon grand-père, l’Orateur Vénéré, Coyote
Affamé.
— Quoi ? C’était Nezahualpilli ? m’exclamai-je. Il
n’avait pas d’insigne, pas de couronne, pas de manteau de plumes, pas de bâton,
pas de bannière…
— Oh ! c’est un original. Sauf dans les grandes occasions,
mon père ne s’habille jamais comme les autres Uey tlatoani. Il pense qu’un
homme ne devrait porter que les décorations qu’il a méritées ; les
médailles et les cicatrices
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