Azteca
le prêtre leur enduisit
la figure d’oli liquide en ne laissant découverte que leur petite bouche en
fleur. On ne voyait plus leur expression lorsque le prêtre se détourna d’eux,
pour chanter, toujours inaudible, l’appel final à Tlaloc afin qu’il accepte ce
sacrifice et qu’il envoie, en échange, des pluies abondantes.
Les assistants élevèrent une dernière fois la petite fille et le petit
garçon, le chef leur passa rapidement une couche du liquide collant sur la
bouche et le nez et les assistants laissèrent tomber les enfants dans l’eau
froide qui figea instantanément la gomme. Je dois vous dire que cette cérémonie
exigeait que les sacrifiés périssent dans l’eau, mais non par l’eau. Par
conséquent, on ne les noyait pas et ils mouraient, lentement étouffés, sous
leurs épais masques d’oli tandis qu’ils se débattaient désespérément dans le
bassin. Ils coulèrent, puis refirent surface ; la foule hurlait à la mort
et les tambours ainsi que tous les autres instruments continuaient leur
tonitruante cacophonie. Les enfants remuaient de plus en plus faiblement, puis
la fillette et ensuite le garçon cessèrent de bouger et on vit leurs corps
s’immobiliser un peu en dessous du niveau de l’eau, tandis qu’à la surface
leurs ailes blanches flottaient, déployées et immobiles.
Meurtre de sang-froid, Excellence ? Mais voyons, c’étaient des
enfants d’esclaves. Ils auraient vécu comme des bêtes et plus tard, ils se
seraient peut-être mariés et auraient enfanté d’autres bêtes ; puis ils
seraient morts pour rien et auraient passé leur éternité dans le néant et les
ténèbres de Mictlan. Au lieu de cela, ils sont morts en l’honneur de Tlaloc et
pour le bien de tous ceux qui continuèrent à vivre. Par leur sacrifice, ils ont
gagné la vie éternelle dans le paradis luxuriant du Tlalocan.
Superstitions barbares, Excellence ? Cette saison des pluies fut
pourtant aussi florissante qu’un Chrétien pourrait le souhaiter et elle nous
donna d’abondantes récoltes.
Cruel ? Déchirant ? Oui, bien sûr… c’est du moins le souvenir
que j’en ai, car ce fut le dernier jour de bonheur que nous eûmes ensemble,
Tzitzi et moi.
Lorsque l’acali du Prince Saule revint me chercher, il était minuit
passé, car on était arrivé dans la saison des grands vents et les rameurs
avaient eu une traversée mouvementée. Le retour le fut également, le lac étant
agité de vaguelettes que le vent faisait voler en embruns piquants, et nous
n’abordâmes au quai de Texcoco qu’au moment où le soleil était déjà à moitié
couché.
Les bâtiments et les rues de la ville commençaient au port, mais ce
quartier n’était, en réalité, qu’une annexe de la zone portuaire – chantiers
navals, fabriques de filets, de cordages et de crochets, etc., maisons des
mariniers, des pêcheurs et des oiseleurs. Le centre de la ville était situé à
environ une demi-longue course de là. Personne n’étant venu me chercher, les
bateliers de Huexotl me proposèrent de m’accompagner une partie du chemin et de
m’aider à porter mes paquets : quelques vêtements supplémentaires, des
couleurs que m’avait données Chimali et un panier de gâteaux confectionnés par
Tzitzi.
Mes compagnons me quittèrent l’un après l’autre, au fur et à mesure
qu’ils arrivaient près de leur maison. Le dernier me dit que si je continuais
tout droit, je ne pourrais manquer le palais sur la grande place centrale. Il
faisait complètement nuit et il y avait peu de monde dehors par un tel vent,
mais les rues étaient éclairées. Dans toutes les maisons, il y avait des lampes
à huile d’avocat (ahuacatl), ou huile de poisson ou autres. La lumière filtrait
par les fenêtres, même celles qui étaient closes par des rideaux en lattes de
bois ou en tissu, ou par des écrans de papier huilé. Presque à tous les coins
de rue, on avait mis des torches. C’étaient de grandes perches terminées par
des coupes en cuivre remplies de copeaux de pin rougeoyants, desquelles le vent
chassait parfois des morceaux de poix enflammés. Ces perches étaient fixées
dans des trous percés dans les poings fermés de statues représentant des dieux,
debout ou accroupis.
Je commençais à me sentir fatigué, tant j’étais chargé et bousculé par
le vent, et c’est avec joie que je vis un banc de pierre qui se détachait dans
l’obscurité, sous un arbre tapachini aux fleurs rouges. Je m’y écroulai
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