Azteca
le vieux jardinier en chef en connaissait le secret qui se
transmettait dans sa famille, de père en fils et que même le Uey tlatoani
ignorait. Donc, personne n’avait le droit d’y entrer sans la vieux jardinier –
sauf comme punition.
Parfois un malfaiteur était condamné à pénétrer seul et nu dans le
labyrinthe. Au bout d’un mois, le jardinier y allait à son tour et ramenait ce
qui restait de l’homme, mort de faim, déchiré par les ronces, picoré par les
oiseaux et mangé par les vers.
Le lendemain de mon retour, tandis que j’attendais le début d’un cours,
le Prince Saule s’approcha de moi. Après m’avoir souhaité la bienvenue, il me
dit négligemment : « Mon père serait heureux de te recevoir dans la
salle du trône, quand tu voudras, Tête Haute. »
« Quand je voudrais ! » Avec quelle courtoisie, le plus
noble des Acolhua convoquait-il le misérable étranger qui abusait de son
hospitalité. Je quittai la classe immédiatement, courant presque le long des
galeries, si bien que j’étais complètement à bout de souffle quand je
m’agenouillai sur le seuil de la salle du trône pour faire le geste d’embrasser
la terre. « En votre auguste présence, Orateur Vénéré, dis-je alors.
— Ximopanolti , Tête Haute. » Comme je restais dans
cette attitude d’humilité, il me dit, « Relève-toi, la Taupe. » Je me
redressai, mais sans bouger de place. « Viens ici, Nuage Noir. »
J’avançai lentement et respectueusement, alors il remarqua en souriant :
« Tu as autant de noms qu’un oiseau qui vole au-dessus de tous les pays du
Monde Unique et qui a un nom différent dans chacun d’eux. » Il pointa son
chasse-mouches vers l’une des chaises icpalli disposées en demi-cercle devant
le trône et me dit : « Assieds-toi. »
Le fauteuil de Nezahualpilli n’était ni plus grand, ni plus
impressionnant que le petit siège sur lequel je m’étais assis, mais il était
placé sur une estrade, aussi fallait-il lever les yeux pour le regarder. La
salle du trône était décorée de tapisseries de plumes et de peintures sur
panneaux, mais il n’y avait aucun mobilier en dehors du trône, des petites
chaises pour les visiteurs et, devant le Uey tlatoani, une table basse en onyx
noir sur laquelle était posé un crâne d’un blanc brillant.
« C’est mon père, Nezahualcoyotl, qui l’a mis là », me dit
Nezahualpilli qui avait remarqué mon regard.
« Je ne sais pas pourquoi. Peut-être, était-ce un ennemi vaincu
qu’il se plaisait à regarder, ou un être cher disparu qu’il continuait à
regretter, ou alors, il le gardait pour la même raison que moi.
— Et quelle est cette raison, Seigneur Orateur ? demandai-je.
— C’est dans cette salle que se présentent les émissaires porteurs
de menaces de guerre ou d’offres de traités de paix, les plaignants qui
viennent m’exposer leurs griefs et les personnes qui quémandent des faveurs.
Lorsque ces gens me parlent, leurs visages ont parfois une expression de
colère, de tristesse ou de feinte dévotion. Voilà pourquoi, quand je les
écoute, ce n’est pas eux que je regarde, mais ce crâne.
— Et pourquoi donc, Seigneur ?
— Parce que c’est la figure la plus propre et la plus honnête qui
soit. Pas de faux-semblant, pas de grimaces, pas de sourire reconnaissant ou de
regard hypocrite. Rien qu’un rictus figé qui se moque de la hâte des hommes.
Lorsqu’un visiteur me demande d’édicter une loi ici ou là, je gagne du temps,
je fais semblant, je fume un poquietl ou deux, tout en regardant ce crâne. Il
me rappelle que mes paroles me survivront peut-être et deviendront des décrets
inébranlables. Quels effets auront-ils sur ceux qui vivront alors ? Ayyo ,
ce crâne m’a souvent mis en garde contre une décision hâtive ou
irréfléchie. » Nezahualpilli me regarda et se mit à rire. « Quand il
était en vie, c’était peut-être un imbécile bavard, mais maintenant qu’il est
mort et silencieux, c’est le plus sage de mes conseillers.
— Seigneur, je crois qu’un conseiller n’est utile qu’à celui qui
est assez sage pour demander conseil.
— Je le prends comme un compliment, Tête Haute, et je t’en
remercie. Voyons maintenant, ai-je bien fait de te tirer de Xaltocán ?
— Je ne sais pas, Seigneur. Je ne connais même pas vos raisons de
l’avoir fait.
— Depuis l’époque de Coyote Affamé, Texcoco est considéré comme la
capitale du savoir et de la
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