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Barnabé Rudge - Tome II

Barnabé Rudge - Tome II

Titel: Barnabé Rudge - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles Dickens
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les laissait
s'enflammer, d'étendre au loin l'incendie. La chute bruyante des
murs vacillants et des énormes pièces de charpente ; les huées
et les vociférations de la foule furieuse, la fusillade lointaine
d'autres détachements militaires ; les regards éplorés et les
cris de détresse de ceux dont les habitations étaient en
péril ; la course errante des gens effrayés qui emportaient
leurs effets ; la réflexion, sur chaque partie du ciel, des
flammes d'un rouge de sang qui s'élançaient dans l'air, comme si le
dernier jour était enfin venu et que tout l'univers fût en
feu ; la poussière, la fumée, les tourbillons de flammèches
qui venaient roussir et allumer tous les objets sur lesquels elles
tombaient ; les bouffées de chaleur malsaine qui venaient tout
infecter ; les étoiles, la lune, le ciel même, éclipsés :
tout cela présentait un tel spectacle de ruine et de terreur, qu'on
eût dit que le firmament était effacé du coup, et que la nuit, avec
son repos tranquille et sa lumière douce, ne reviendrait plus
jamais visiter la terre.
    Mais voici un spectacle bien pire
encore ; pire cent fois que le feu et la fumée, et même que la
rage insensée, impitoyable de la canaille ! Les gouttières de
la rue, et chaque crevasse, chaque fissure dans les pierres de la
muraille, versaient les spiritueux enflammés, qui, bientôt endigués
par des mains actives, débordaient sur le trottoir et la chaussée
et formaient une grande mare où les gens tombaient morts par
douzaines. Ils étaient couchés par tas autour de ce lac effroyable,
maris et femmes, pères et fils, mères et filles, des femmes avec
des enfants dans leurs bras ou contre leur mamelle, et là ils
buvaient jusqu'à la mort. Pendant que les uns étaient penchés,
pressant leurs lèvres sur le bord pour ne jamais relever la tête,
d'autres, d'un bond, s'arrachaient à cette boisson de feu, et se
mettaient à danser, moitié dans les transports d'un triomphe
insensé, moitié dans l'agonie d'une suffocation dévorante, jusqu'à
ce qu'enfin ils tombaient là, plongeant leurs cadavres dans la
liqueur qui les avait tués. Eh bien ! cela même, ce n'était
pas encore la mort la plus cruelle et la plus effrayante qu'on eût
à déplorer cette nuit-là. Du fond des celliers enflammés où ils
avaient bu dans leurs chapeaux, dans des seaux, dans des baquets,
des cuviers, des souliers, on tira quelques hommes encore vivants,
mais qui n'étaient qu'une flamme, des pieds à la tête. Dans
l'angoisse de leurs souffrances insupportables, avides de tout ce
qui ressemblait à de l'eau, ils roulaient leurs corps sifflants
dans cet étang hideux, et lançaient à droite et à gauche des
éclaboussures du feu liquide qui lapait tout ce qu'il rencontrait
dans sa course, n'épargnant pas plus les vivants que les morts.
Dans cette dernière nuit des grands troubles, car ce fut la
dernière, les malheureuses victimes d'une révolte absurde devinrent
elles-mêmes la cendre et la poussière des flammes qu'elles avaient
allumées, et jonchèrent de leurs débris méconnaissables les rues et
les places de Londres.
    L'âme profondément empreinte de ce souvenir
ineffaçable qu'un seul coup d'œil avait suffi pour lui révéler dans
sa fuite, Barnabé sortit en courant de la ville qui recelait de
telles horreurs ; et baissant la tête pour ne pas même voir la
lueur des feux souiller le tranquille paysage qui s'étendait sous
ses yeux, il fut bientôt sur la route des champs paisibles.
    Il s'arrêta environ à un demi-mille du hangar
où était couché son père, et faisant comprendre avec quelque
difficulté à Hugh qu'il fallait descendre là, il jeta le harnais du
cheval au fond d’une mare d'eau stagnante, et abandonna l'animal à
lui-même. Après cela il soutint son compagnon du mieux qu'il put,
et l'emmena tout doucement du côté de leur asile.

Chapitre 27
     
    On était au cœur de la nuit, et d'une nuit
très noire quand Barnabé, avec son trébuchant ami, s'approcha de
l'endroit où il avait laissé son père ; cependant il put le
voir se dérobant dans les ténèbres, car il ne se fiait pas même à
son fils, et se retirant d'un pas rapide. Après lui avoir crié deux
ou trois fois, mais sans succès, qu'il pouvait revenir, qu'il n'y
avait rien à craindre, il laissa tomber Hugh sur le sol et se mit à
la recherche de son père pour le ramener.
    L'autre continua de se glisser furtivement
dans l'ombre, jusqu'à ce que Barnabé l'eût

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