Barnabé Rudge - Tome II
un jour,
vous-même, un jour que je vous demandais ce que c'était que la
mort, que c'était quelque chose qui n'était pas à craindre, quand
on n'avait pas fait de mal. Ha ! ha ! mère, je suis sûre
que vous pensiez que j'avais oublié cela. »
Elle était navrée de voir ce joyeux éclat de
rire et le ton enjoué avec lequel il lui disait ces mots. Elle le
serra contre son cœur et le supplia de lui parler tout bas et de se
tenir tranquille, parce qu'il commençait à faire nuit, qu'ils
n'avaient plus que peu de temps à rester ensemble, et qu'elle
allait être obligée de le quitter.
« Vous reviendrez demain ? dit
Barnabé.
– Oui, et tous les jours, et nous ne nous
séparerons plus. »
Il répliqua avec joie que c'était bien, que
c'était tout ce qu'il désirait, et qu'il était sûr d'avance de sa
réponse. Puis il lui demanda où elle était restée depuis si
longtemps, et pourquoi elle n'était pas venue le voir, pendant
qu'il était un grand soldat ; et alors il se mit à lui
détailler tous les plans qu'il avait formés pour qu'ils pussent
devenir riches et vivre dans l'opulence. Cependant il eut quelque
soupçon qu'elle avait du chagrin et que c'était lui qui en était en
cause ; il essaya de la consoler et de la distraire en lui
parlant de la vie qu'ils menaient autrefois ensemble, de ses
amusements et de la liberté dont il jouissait alors. Il ne se
doutait pas que chacune de ses paroles redoublait la douleur de sa
mère, et qu'elle répandait des larmes de plus en plus amères à
chaque souvenir qu'il ravivait de leur tranquillité perdue.
« Mère, dit Barnabé, quand ils
entendirent approcher l'homme qui venait fermer les cellules pour
la nuit, tout à l'heure, quand je vous ai parlé de mon père, vous
m'avez crié : « Chut ! » et vous avez détourné
la tête ; pourquoi donc ? dites-moi pourquoi en deux
mots. Vous l'aviez cru mort. Vous n'êtes pas fâchée qu'il vive et
qu'il soit revenu nous voir ? où est-il ? serait-il
ici ?
– Ne demandez à personne où il est ;
ne parlez de lui à qui que ce soit, répondit-elle.
– Pourquoi pas ? Est-ce parce que
c'est un homme sévère et qui a la parole rude ? Car enfin, je
ne l'aime pas, et je ne tiens pas à me trouver seul avec lui ;
mais pourquoi ne pas parler de lui ?
– Parce que je suis fâchée qu'il vive
encore, fâchée qu'il soit revenu nous voir, fâchée que vous et lui
vous vous soyez trouvés ensemble. Parce que, cher Barnabé, j'ai
fait ce que j'ai pu, toute ma vie, pour vous tenir séparés.
– Séparés ! un fils et un
père ! Pourquoi ?
– Il a, lui murmura-t-elle à l'oreille,
il a versé le sang ; le temps est venu de vous faire cette
révélation ; il a versé le sang d'un homme qui l'aimait bien,
qui avait placé en lui sa confiance, qui ne lui avait jamais rien
dit ni rien fait de mal. »
Barnabé recula d'horreur, et, jetant un coup
d'œil rapide sur la tache de son poignet, la cacha en frissonnant
sous sa veste.
« Mais, ajouta-t-elle avec précipitation,
en entendant la clef tourner dans la serrure, quoique nous devions
le fuir, ce n'en est pas moins votre père, mon cher enfant, et moi,
je n'en suis pas moins sa malheureuse femme. On en veut à sa vie,
et il la perdra. Il ne faut pas que nous y soyons pour quelque
chose. Bien au contraire, si nous pouvions l'amener à se repentir,
notre devoir serait de l'aimer encore. N'ayez pas l'air de le
connaître, si ce n'est comme un homme qui s'est sauvé de la prison,
et, si on vous fait des questions sur son compte, ne répondez pas.
Que Dieu veille sur vous toute cette nuit, cher enfant ! que
Dieu soit avec vous ! »
Elle s'arracha de ses bras et, quelques
secondes après, Barnabé fut tout seul. Il resta longtemps comme
enraciné là, la figure cachée dans ses mains, puis il se jeta en
sanglotant sur son triste lit.
Mais la lune vint tout doucement dans sa
gloire modeste, et les étoiles se montrèrent à travers le petit
espace de la fenêtre grillée, comme, à travers l'étroite brèche
d'une bonne action, dans une sombre vie de crime, la face du ciel
rayonne pleine d'éclat et de miséricorde. Il leva la tête, regarda
en l'air ce ciel tranquille qui avait l'air de sourire à la terre
affligée, comme si la nuit, plus compatissante que le jour,
abaissait des regards de pitié sur les souffrances et les fautes
des hommes, et qu'elle voulût insinuer sa paix au fond du cœur de
Barnabé. Un pauvre idiot comme lui,
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