Barnabé Rudge - Tome II
emprisonné dans son étroite
cellule, se sentait élevé aussi près de Dieu, en contemplant cette
clarté si douce, que l'homme le plus libre et le plus heureux de
toute cette vaste cité ; et dans sa prière, qu'il ne se
rappelait pas bien, dans le bout d'hymne, souvenir de son enfance,
qu'il se chantonnait pour se bercer avant de s'endormir, il y avait
un souffle aussi pur pour monter vers le ciel que dans toutes les
homélies du monde, et dans l'écho des voûtes des plus vieilles
cathédrales.
Sa mère, en traversant une cour pour sortir,
vit, à travers une porte grillée qui donnait sur une autre cour,
son mari, marchant autour de l'enceinte, les mains croisées sur sa
poitrine et la tête penchée. Elle demanda à l'homme qui la
conduisait si elle ne pourrait pas dire un mot au prisonnier. Il y
consentit, mais en lui recommandant de se dépêcher, parce qu'il
allait fermer pour la nuit, et il n'avait plus qu'une ou deux
minutes à lui. En même temps, il ouvrit la porte et lui dit
d'entrer.
La porte, en tournant, grinça bien fort sur
ses gonds ; mais lui, il était sourd au bruit, et continuait
sa promenade circulaire dans la petite cour, sans lever la tête ni
changer d'attitude le moins du monde. Elle lui parla ; mais sa
voix était si faible qu'elle ne pouvait se faire entendre. Enfin,
elle alla au-devant de ses pas, et, quand il vint, elle étendit la
main et le toucha.
Il tressaillit et recula d'un pas, tremblant
des pieds à la tête ; mais en voyant qui c'était, il lui
demanda ce qu'elle venait faire là. Sans attendre sa
réponse :
« Voyons ! dit-il, venez-vous me
rendre la vie ou me l'ôter ? m'assassiner aussi, ou me
sauver ?
– Mon fils… notre fils, répondit-elle,
est dans cette prison.
– Qu'est-ce que ça me fait ?
cria-t-il en frappant du pied avec impatience le pavé de la cour.
Je sais bien cela. Il ne peut pas plus m'aider que je ne puis
l'aider. Si vous êtes venue pour me parler de lui, vous pouvez vous
en aller. »
En même temps il reprit sa promenade, et se
mit à faire son tour dans la cour comme auparavant, d'un pas
précipité. Quand il la retrouva où il l'avait laissée, il s'arrêta
pour lui dire :
« Venez-vous me rendre la vie ou me
l'ôter ? Vous repentez-vous ?
– Oh ! c’est à vous qu'il faut
demander ça, répondit-elle. Voulez-vous vous repentir, pendant
qu'il en est temps encore ? Quant à vous sauver, croyez bien
que je n'en aurais pas le pouvoir, quand j'en aurais le
courage.
– Dites que c'est la volonté qui vous
manque, répondit-il avec un juron, en cherchant à se dégager d'elle
et à passer outre. Dites que vous ne le voulez pas.
– Écoutez-moi un instant seulement,
répliqua-t-elle, rien qu'un instant. Je ne fais que de relever
d'une maladie dont je croyais que je ne relèverais jamais. Les
meilleurs d'entre nous, dans des moments pareils, pensent aux
bonnes intentions qu'ils n'ont pas réalisées, aux devoirs qu'ils
ont laissés inachevés. Si j'ai jamais, depuis cette fatale nuit,
manqué à prier Dieu pour vous envoyer le repentir avant votre mort…
si j'ai manqué de vous en suggérer la pensée, même au moment où
l'horreur de votre crime était encore toute fraîche, si, la
dernière fois que je vous ai vu, tout entière à la crainte qui
venait de m'accabler, j'ai oublié de tomber à deux genoux pour vous
adjurer de la façon la plus solennelle, au nom de celui que vous
avez envoyé au ciel pour y porter témoignage contre vous, de vous
préparer à la punition qui ne pouvait manquer de vous atteindre, et
qui s'approche insensiblement en ce moment même… je m'humilie
devant vous, et, dans l'agonie de mon rôle de suppliante, je vous
conjure de me laisser expier ma faute.
– Qu'est-ce que tout ce jargon veut
dire ? répondit-il rudement. Parlez donc de manière que je
puisse vous comprendre.
– Je vais le faire,
répliqua-t-elle ; c’est tout ce que je désire. Accordez-moi
encore un moment de patience. La main de celui qui a maudit
l'assassin s'est appesantie sur nous, vous n'en pouvez douter.
Notre fils, notre innocent enfant, sur lequel est tombée sa colère,
avant même qu'il vînt au monde, est ici en danger de perdre la vie…
il y est, conduit par votre faute, oui, Dieu le sait, par votre
unique faute : car, si la faiblesse de son intelligence l'a
entraîné dans ses égarements, n'est-ce pas la terrible conséquence
de votre crime ?
– Si vous venez pour m'ennuyer de vos
reproches et
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