Barnabé Rudge - Tome II
cité ce soir-là devant le
Conseil privé pour donner des explications sur sa conduite, revint
content, déclarant à tous ses amis qu'il avait été bien heureux
d'en être quitte pour une réprimande, et leur répétant avec la plus
grande satisfaction sa mémorable défense devant le Conseil,
« qu'il avait montré dans les troubles une telle témérité de
courage, qu'il avait bien cru la payer de sa vie. »
Cette nuit-là aussi, quelques agents dispersés
de l'émeute furent poursuivis jusque dans leurs cachettes, et
arrêtés. Dans les hôpitaux, ou sous les amas de ruines qu'ils
avaient faites, dans les fossés, dans les champs, on trouva de ces
misérables enterrés sans linceul ; plus heureux que ceux qui,
pour avoir pris une part active au désordre, dans des prisons
provisoires, reposaient en ce moment sur la paille leur tête
promise au bourreau.
À la Tour aussi, dans une chambre lugubre dont
les murs épais interdisaient l'accès au moindre bourdonnement de la
vie et entretenaient un silence dont les inscriptions laissées par
d'anciens prisonniers sur ces témoins muets ne faisaient que
redoubler l'horreur, gisait sur sa couche un homme tourmenté de
remords pour chaque cruauté commise par chaque révolté,
reconnaissant à présent que leur crime était son crime, et que
c'était lui qui avait mis leurs vies en péril ; ne trouvant,
au milieu de ces réflexions, qu'une triste consolation dans son
fanatisme, ou dans sa vocation imaginaire ; c'était le
malheureux autour de tout le mal… lord Georges Gordon.
On l'avait arrêté le soir même. « Si vous
êtes sûr que c'est moi que vous voulez, dit-il à l'officier qui
l'attendait à la porte de chez lui avec un mandat d'amener sous la
prévention de haute trahison, je suis prêt à vous
accompagner… »
Et en effet, il le suivit sans résistance. On
commença par le conduire devant le Conseil privé, puis à la caserne
des Horse-Guards, puis on l'emmena par le pont de Westminster, pour
éviter l'embarras des rues, jusqu'à la Tour, sous l'escorte la plus
forte qu'on eût encore vue chargée d'y conduire un prisonnier
seul.
De tous ses quarante mille hommes, il ne lui
en restait pas un pour lui tenir compagnie. Tant amis que protégés,
clients et serviteurs… il n'avait personne. Son tartuffe de
secrétaire l'avait trahi et l'homme qui s'était laissé, dans sa
faiblesse, pousser et compromettre par tant d'intrigants uniquement
occupés de leurs intérêts personnels, se trouvait à présent seul et
abandonné.
Chapitre 32
M. Dennis, ayant été fait prisonnier à
une heure avancée le même soir, fut emmené pour la nuit seulement
au violon voisin, et le lendemain, samedi, on le fit comparaître
devant un juge de paix. Comme les charges qui s'élevaient contre
lui étaient nombreuses et importantes, qu'en particulier, il fut
prouvé par le témoignage de Gabriel Varden qu'il avait manifesté
bonne envie de lui ôter la vie, il fut renvoyé devant les assises.
De plus, il eut l'honneur distingué de se voir considérer comme un
chef de révoltés, et de recevoir de la bouche même du magistrat la
flatteuse assurance qu'il était dans une position d'un danger
imminent, et qu'il ferait bien de s'attendre à tout.
Dire que la modestie de M. Dennis ne fut
pas un peu émue par ces honneurs insignes, ou qu'il fût bien
préparé à une réception si obligeante, ce serait lui prêter un plus
grand fonds de philosophie stoïque qu'il n'en posséda jamais. À
dire vrai, le stoïcisme de ce gentleman était de ceux (combien en
voit-on comme cela !) qui mettent un homme en état de
supporter avec un courage exemplaire les afflictions de ses amis,
mais qui, par une espèce de compensation, le rendent, en ce qui le
concerne, très sensible à ses maux, et d'un égoïsme très
susceptible. On peut donc, sans calomnier ce fonctionnaire
intéressant, déclarer sans réserve et sans déguisement qu'il
commença par se montrer très alarmé tout d'abord, et qu'il
manifesta des émotions qui ne faisaient pas honneur à son héroïsme,
jusqu'à ce qu'il eut appelé à son aide ses facultés ratiocinatives,
qui lui firent entrevoir une perspective moins désespérée.
À mesure que M. Dennis exerçait les
qualités intellectuelles dont la nature l'avait doué à passer en
revue ses chances les plus favorables de se tirer d'affaire
bellement et sans grand désagrément personnel, il sentait renaître
ses esprits et augmenter sa confiance. Quand
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