Barnabé Rudge - Tome II
de
fusil ? Jugez un peu, la belle figure que vous auriez
faite !… un beau jeune homme comme
vous !
– Je vais
donc faire à présent plus belle figure, hein ? demanda Hugh,
en relevant la tête avec une expression si terrible que l'autre
n'osa pas lui répliquer pour le moment.
– Il n'y a
pas de doute, dit Dennis d'un ton doucereux, après un instant de
silence. D'abord il y a les chances du procès, et vous en avez
mille pour vous. Nous pouvons nous en tirer les braies
nettes : on a vu des choses plus extraordinaires que ça. Après
cela, quand même ce ne serait pas, et que les chances tourneraient
contre nous, nous en serons quittes pour être exécutés une bonne
fois ; et ça se fait, voyez-vous, avec tant de propreté,
d'adresse et d'agrément, si le terme ne vous paraît pas trop fort,
que vous ne pourriez jamais croire qu'on ait pu porter la chose à
ce point de perfection. Tuer un de nos semblables à coups de fusil…
Pouah ! » Et cette idée seule révoltait tellement sa
nature, qu'il cracha sur le pavé du cachot.
La chaleur qu'il
montrait sur ce sujet pouvait passer pour du courage aux yeux de
quelqu'un qui ne connaissait pas ses goûts et ses préférences
artistiques ; de plus, comme il se gardait bien de laisser
percer ses espérances secrètes, et qu'il avait l'air au contraire
de se mettre sur le même pied que Hugh, ce vaurien fut plus
sensible à ces considérations pour se laisser attendrir, qu'il ne
l'aurait été à tous les plus beaux raisonnements ou à la soumission
la plus abjecte. Il reposa donc ses bras sur ses genoux, et, se
baissant en avant, il regarda Dennis par-dessous les mèches de ses
cheveux, avec une espèce de sourire sur les lèvres.
« Le fait
est, camarade, dit le bourreau d'un ton de plus intime confiance,
que vous vous étiez fourré là en assez mauvaise compagnie. Vous
étiez avec un homme qu'on poursuivait bien plus que vous :
c'était lui que je cherchais. Au reste, vous voyez ce que j'ai
gagné à tout cela. Me voici ici comme vous : nous sommes dans
la même barque.
– Tenez,
gredin, lui dit Hugh en fronçant les sourcils, je ne suis pas assez
dupe pour ne pas savoir que vous comptiez y gagner quelque chose,
sans quoi vous ne l'auriez pas fait ; mais c'est une affaire
finie. Vous voilà ici. Il ne sera bientôt pas plus question de vous
que de moi ; et je ne tiens pas plus à vivre qu'à mourir, à
mourir qu'à vivre ; ce m'est tout un. Alors, pourquoi me
donnerais-je la peine de me venger de vous ? Boire, manger,
dormir, tout le temps que j'ai à rester ici, je ne me soucie pas
d'autre chose. S'il pouvait seulement pénétrer un peu plus de
soleil dans ce maudit trou, pour qu'on pût s'y réchauffer, je
voudrais y rester couché tout le long du jour, sans me donner la
peine de me lever ou de m'asseoir une fois : voilà comme je me
soucie de moi. Pourquoi donc me soucier de
vous ? »
Il finit cette
harangue par un grognement qui ressemblait assez au bâillement
d'une bête féroce, se remit tout de son long sur le banc, et ferma
de nouveau les yeux.
Après l'avoir
regardé quelques moments en silence, Dennis tout heureux de l'avoir
trouvé si bénin, approcha de sa couche grossière la chaise sur
laquelle il s'assit près de lui ; pourtant il prit la
précaution de ne pas se mettre à portée de son bras
nerveux.
« Bien dit,
camarade, on ne peut pas mieux dire, se risqua-t-il à répondre.
Nous allons boire et manger tant que nous pourrons, dormir tant que
nous pourrons, nous rendre la vie douce tant que nous
pourrons ; et avec de l'argent on a tout : dépensons-le
gaiement.
– De
l'argent ! dit Hugh en se retournant dans une position plus
commode… où est-il ?
– Dame !
ils m'ont pris le mien à la loge, dit M. Dennis, mais ils ne
traitent pas tout le monde de même.
– Vous
croyez ? Eh bien ! ils m'ont pris le mien
aussi.
– Alors je
vais vous dire, camarade, il faut vous adresser à vos
parents.
– Mes
parents ! dit Hugh se relevant en sursaut et se soutenant sur
ses mains ; où sont-ils, mes parents ?
– Vous avez
toujours bien de la famille ?
– Ha !
ha ! ha ! dit Hugh en éclatant de rire et balançant son
bras au-dessus de sa tête. Ne va-t-il pas parler de parents, ne
va-t-il pas parler de famille à un homme dont la mère a péri de la
mort qui attend son fils, et l'a laissé, pauvre affamé, sans un
visage de connaissance au monde ! Venez donc me parler de
parents et de
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