Barnabé Rudge - Tome II
cette pensée, il foulait la terre d'un pied plus ferme,
en recommandant à sa mère de prendre courage et de ne plus pleurer.
« Sentez ma main, lui disait-il, vous voyez bien qu'elle ne
tremble pas. Ils me traitent d'imbécile, ma mère, mais ils verront…
demain. »
Dennis et Hugh étaient dans la même cour. Hugh
sortit de sa cellule en même temps qu'eux, s'étirant les membres
comme s'il venait de dormir. Dennis était assis sur un banc dans un
coin, son menton enfoncé dans ses genoux, et il se balançait de
haut en bas, comme une personne qui souffre des douleurs
atroces.
La mère et le fils restèrent d'un côté de la
cour, et ces deux prisonniers de l'autre, Hugh marchait à grands
pas de long en large, jetant de temps à autre un regard farouche
vers le ciel brillant d'un jour d'été, puis se retournant, après
cela, pour regarder la muraille.
« Pas de sursis ! pas de
sursis ! Personne ne vient. Nous n'avons plus que la nuit, à
présent, disait Dennis d'une voix faible et gémissante en se
tordant les mains. Croyez-vous qu'ils vont m'accorder mon sursis ce
soir, camarade ? Ce ne serait pas la première fois que
j'aurais vu arriver des sursis la nuit. J'en ai vu qui n'arrivaient
qu'à cinq, six et même sept heures du matin. Ne pensez-vous pas
qu'il me reste encore quelque bonne chance, n'est-ce pas ?
Dites-moi que oui, dites-moi que oui, jeune homme, criait la
misérable créature avec un geste suppliant, implorant Barnabé, ou
je vais devenir fou.
– Il vaut mieux être fou ici que dans son
bon sens. Tu n'as qu'à devenir fou, lui dit Hugh.
– Mais dites-moi donc ce que vous en
pensez. Comment ! quelqu'un ne me dira pas ce qu'il en pense,
continuait le malheureux, si humble, si misérable, si abject, que
la Pitié en personne aurait tourné le dos en voyant tant de
bassesse sur la figure d'un homme. Ne me reste-t-il plus une
chance ? pas une seule chance favorable ? N'est-il pas
vraisemblable qu'ils ne tardent tant que pour me faire peur ?
N'est-ce pas que vous le croyez ? Oh ! ajoutait-il avec
un cri perçant, en se tordant toujours les mains, personne ne veut
donc me consoler !
– C'est vous qui devriez montrer le plus
de courage, et c'est vous qui en montrez le moins, dit Hugh en
s'arrêtant devant lui. Ha ! ha ! ha ! voyez-vous le
bourreau, quand c'est à son tour !
– Vous ne savez pas ce que c'est, vous,
criait Dennis, qui se tordait en deux tout en parlant ; moi,
je le sais. Comment ! je pourrais être exécuté !
moi ! moi ! en venir là !
– Et pourquoi pas ? dit Hugh,
rejetant de côté ses mèches de cheveux pour mieux voir son ancien
collègue de révolte. Que de fois, avant de connaître votre état,
vous ai-je entendu parler de ça, de manière à en faire venir l'eau
à la bouche ?
– Je suis toujours le même ; j'en
parlerais encore de même, si j'étais encore bourreau. C'en est un
autre que moi qui hérite de mon opinion, à l'heure qu'il est. C'est
bien ce qui m'afflige le plus. Il y a quelqu'un, à présent, qui
m'attend avec impatience pour m'exécuter. Je sais bien par moi-même
ce qui en est.
– Il n'a pas longtemps à attendre, dit
Hugh en reprenant sa promenade. Vous n'avez qu'à vous dire cela
pour vous tranquilliser. »
Quoiqu'un de ces deux hommes étalât dans ses
paroles et son attitude l'immobilité la plus absolue, et que
l'autre, dans chaque mot, dans chaque geste, fît preuve d'une
lâcheté si abjecte, que c'était humiliant de le voir, il était
difficile de dire quel était celui des deux qui présentait le
spectacle le plus repoussant et le plus dégoûtant. Chez Hugh,
c’était le désespoir obstiné d'un sauvage attaché au poteau
funeste, le bourreau, au contraire, était réduit à l'état d'un
chien qu'on va noyer, et qui a déjà la corde au cou. Cependant
M. Dennis aurait pu dire, car il le savait bien par
expérience, que ce sont là les deux formes les plus ordinaires chez
les patients qui vont sauter le pas. Telle est, en gros, la belle
récolte du grain semé par la Loi, qu'on regardait généralement
cette moisson comme une chose toute naturelle.
Il y avait cependant des points par lesquels
ils se ressemblaient tous. Le cours errant et fatal de leurs
pensées, qui les ramenait à des souvenirs subits de choses
anciennes dans le passé, depuis longtemps oubliées, sans relations
entre elles… le vague besoin, qui les tourmentait sans cesse, de
quelque chose d'indéfini que rien ne pouvait leur
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