Barnabé Rudge - Tome II
tapage où il avait passé les jours
derniers, il n'en sentait que mieux mille fois la douceur de la
solitude et de la paix. Il se sentait heureux : appuyé sur le
manche du drapeau, plongé dans ses rêveries, il avait sur toute sa
figure un sourire radieux, et son cerveau ne nourrissait que des
visions joyeuses.
Croyez-vous qu'il ne pensait pas à
Elle
, à celle dont il était le seul bonheur, et qu'il
avait, sans le savoir, plongée dans cet abîme d'affliction
amère ? Oh ! que si : c’était elle qui était au cœur
de ses plus brillantes espérances, de ses réflexions les plus
orgueilleuses ; c'était elle qui allait jouir de tout cet
honneur, de toute cette distinction de son fils : la joie et
le profit, tout pour elle. Quelle félicité pour elle d'entendre
faire l'éloge des prouesses de son pauvre garçon ! Ah !
Hugh n'avait pas besoin de le lui dire, il l'aurait bien deviné de
lui-même. Et puis, comme il était heureux encore de savoir qu'elle
nageait dans l'aisance et qu'elle se rengorgeait (il se figurait
son air digne et fier dans ces moments-là) en entendant la haute
estime qu'on faisait de lui, le brave des braves, honoré du premier
poste de confiance. Une fois, d'ailleurs, que tout ce bruit-là
allait être fini, et que le bon lord aurait vaincu ses ennemis,
quand la paix allait revenir, qu'elle serait riche et lui aussi,
comme ils seraient heureux de parler ensemble de ces temps de
trouble et de peine où il avait été un héros ! Quand ils
seraient là, assis ensemble tous les deux, en tête-à-tête, à la
lueur d'un crépuscule tranquille et serein, qu'elle n'aurait plus à
s'inquiéter du lendemain, quel plaisir de pouvoir se dire que
c'était l'œuvre de son pauvre nigaud de Barnabé ! comme il lui
donnerait une petite tape sur la joue en riant de grand cœur !
« Eh bien ! mère, suis-je toujours un imbécile ?.,.
Voyons ! suis-je toujours un imbécile ? »
Là-dessus, d'un cœur plus léger, d'un pas plus
glorieux, d'un œil plus triomphant au travers de ses larmes,
Barnabé reprit sa promenade militaire, et, chantonnant tout bas, se
mit à garder son poste paisible.
Son camarade Grip, qui partageait avec lui sa
faction, ordinairement si avide de soleil, au lieu de s'y pavaner
aujourd'hui, aimait mieux rôder dans l'écurie. Il y était très
affairé à fouiller dans la paille pour y cacher tous les menus
objets qu'il pouvait ramasser près de là, et à visiter de
préférence le lit de Hugh, auquel il semblait prendre un intérêt
tout particulier. Quelquefois Barnabé, passant la tête par la
porte, venait l'appeler, et alors il sortait en sautillant ;
mais on voyait que c'était une simple concession qu'il croyait
devoir, par pitié, à l'imbécillité de son maître, et il retournait
tout de suite à ses occupations sérieuses. Il fourrait son bec dans
la paille, regardait, recouvrait la place, comme si, nouveau Midas,
il murmurait à la terre ses secrets pour les ensevelir dans son
sein : tout cela d'un air sournois, affectant, chaque fois que
Barnabé passait, de regarder les nuages au firmament, sans avoir
l'air d'y toucher ; en un mot, prenant, à tous égards, un air
plus grave, plus profond, plus mystérieux qu'à l'ordinaire.
Le jour avançait. Barnabé, à qui sa consigne
ne défendait pas de boire et de manger sur place, mais auquel on
avait, au contraire, laissé pour ses besoins une bouteille de bière
et un panier de provisions, se décida à déjeuner, car il n'avait
rien pris depuis le matin. Pour ce faire, il s'assit par terre
devant la porte, et mettant son drapeau sur ses genoux, pour ne pas
le perdre en cas d'alarme ou de surprise, il invita Grip à venir
dîner.
L'oiseau intelligent ne se le fit pas dire
deux fois, et, sautant de côté vers son maître, se mit à crier en
même temps : « Je suis un diable, je suis un Polly, je
suis une bouilloire, je suis protestant : pas de
papisme ! » Il avait appris cette dernière ritournelle
des braves messieurs avec lesquels il faisait société depuis
peu : aussi la prononçait-il avec une énergie peu commune.
« Bien dit, Grip ! cria son maître
en lui choisissant les meilleurs morceaux pour sa part ; bien
dit, mon vieux !
– N'aie pas peur, mon garçon, coa, coa,
coa, bon courage ! Grip ! Grip ! Grip !
Holà ! il nous faut du thé ! je suis une bouilloire
protestante, pas de papisme ! criait le corbeau.
– Grip, vive Gordon ! » criait
de son côté Barnabé.
Le
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