Barnabé Rudge - Tome II
délicieux, où il était plongé
tout éveillé. Les rayons du soleil couchant qu'il avait en face de
lui avaient passé dans son âme. Il ne manquait qu'une chose à son
bonheur. Ah ! si
Elle
pouvait seulement le voir en ce
moment !
Le jour était sur son déclin ; la chaleur
commençait à faire place à la fraîcheur du soir. Le vent léger qui
se levait se jouait dans sa chevelure et faisait frissonner
doucement le drapeau au-dessus de sa tête. Il y avait, dans ce
bruit glorieux et dans le calme d'alentour, comme un souffle frais
et libre qui répondait à ses sentiments. Il n'avait jamais été si
heureux.
Il était donc appuyé sur sa hampe, regardant
le soleil couchant, et songeant avec un sourire qu'il était en
sentinelle pour garder l'or enterré près de là, lorsqu'il vit de
loin trois ou quatre hommes qui s'avançaient d'un pas rapide vers
la maison, et qui faisaient signe de la main aux gens de
l'intérieur de se retirer pour ne pas se trouver au milieu d'un
danger prochain. À mesure qu'ils s'approchaient, leurs gestes
devenaient de plus en plus expressifs, et ils ne furent pas plus
tôt à portée de la voix, que les premiers crièrent que les soldats
arrivaient.
À ces mots Barnabé plia son drapeau, et
l'attacha autour de la lance. Son cœur battait bien fort, mais il
ne songeait pas plus à avoir peur, ni à se retirer, que sa lance
elle-même. Les passants officieux qui l'avaient averti se hâtèrent,
après l'avoir prévenu du danger qu'il courait, d'entrer dans la
maison, où ils jetèrent par leur arrivée le trouble et l'alarme.
Les gens se mirent aussitôt à fermer les portes et les fenêtres, en
lui faisant signe avec instance de fuir sans perdre de temps, et
répétèrent à plusieurs reprises cet avis : mais pour toute
réponse il branla la tête d'un air indigné, et n'en resta que plus
ferme à son poste. Voyant alors qu'il n'y avait pas moyen de le
persuader, ils ne songèrent plus qu'à leur propre sûreté, et
quittant la place, où ils ne laissèrent qu'une bonne vieille, ils
se sauvèrent à toutes jambes.
Jusque-là, rien n'annonçait que la crainte
produite par cette nouvelle ne fût pas imaginaire ; mais
la Botte
n'était pas évacuée depuis cinq minutes, qu'on
vit apparaître, à travers champs, une troupe d'hommes en mouvement,
et, à l'éclat de leurs armes et de leur équipement qui brillaient
au soleil, à leur marche régulière et soutenue (car ils avançaient
comme un seul homme), il était facile de reconnaître que c'étaient…
des soldats. En un moment Barnabé s'aperçut bien que c'était un
fort détachement de gardes à pied, avec deux messieurs en habit
bourgeois dans leurs rangs, et un petit peloton de cavalerie ;
ces derniers étaient à l'arrière-garde et pas plus d'une
demi-douzaine.
Ils avançaient résolument, sans accélérer le
pas en approchant, sans pousser un cri, sans montrer la moindre
émotion ni la moindre inquiétude. Barnabé lui-même savait bien que
cela n'avait rien d'extraordinaire dans la troupe ; cependant
cet ordre invariable avait quelque chose de singulièrement imposant
pour un homme accoutumé au bruit et au tumulte d'une populace
indisciplinée. Avec tout cela, il n'en resta pas moins décidé à
garder son poste, et fit bonne contenance.
Ils étaient déjà arrivés dans la cour, où ils
firent halte. L'officier qui les commandait dépêcha une ordonnance
aux cavaliers, qui envoyèrent immédiatement un des leurs.
L'officier échangea avec lui quelques mots, et ils jetèrent un coup
d'œil à Barnabé, qui reconnut dans le cavalier celui qu'il avait
démonté à Westminster, bien étonné de le revoir en face de lui.
L'autre, renvoyé en toute hâte, fit le salut militaire au
commandant et retourna vers ses camarades, rangés à quelques pas de
là.
L'officier ayant alors commandé :
« amorcez… chargez, etc., » Barnabé, malgré la cruelle
assurance que c'était pour lui que se faisaient ces préparatifs, ne
put se défendre d'un certain plaisir en entendant sonner la crosse
des fusils à terre et retentir la baguette dans le canon de l'arme.
Mais après quelques autres commandements, les soldats se mirent
immédiatement sur une file et cernèrent entièrement les bâtiments,
à la distance d'une dizaine de pas ; du moins Barnabé n'en
compta pas davantage entre lui et les soldats qui lui faisaient
face. Les cavaliers restèrent à part, à leur place.
Les deux messieurs en habit bourgeois qui
s'étaient
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