Barnabé Rudge - Tome II
qu'abandonnent les
gens corrompus et irréligieux, c'est une raison pour qu'il soit
fou, à votre avis ?
– Un vrai fou, tout ce qu'il y a de plus
fou, un fou à lier, repartit l'inébranlable John.
– Comment osez-vous me dire cela en
face ? cria son maître en se tournant vivement de son
côté.
– Je le dirais à n'importe qui, s'il me
faisait la même question.
– Je vois, dit lord Georges, que
M. Gashford avait raison. Je croyais que c'était un effet de
ses préventions, et je me le reproche ; j'aurais bien dû
savoir qu'un homme comme lui était au-dessus de cela.
– Je sais bien que M. Gashford ne
parlera jamais en bien de moi, répliqua John en touchant
respectueusement son chapeau, et je n'y tiens pas.
– Vous êtes une mauvaise tête, un ingrat,
dit lord Georges, un mouchard, peut-être. M. Gashford a
parfaitement raison, j'en ai la preuve. J'ai tort de vous garder à
mon service. C'est une insulte indirecte que j'ai faite à un ami
digne de mon affection et de toute ma confiance, quand je songe à
la cause pour laquelle vous avez pris parti, le jour où on l’a
maltraité à Westminster. Vous quitterez ma maison dès ce soir… ou
plutôt dès notre retour. Le plus tôt sera le mieux.
– Puisqu'il faut en venir là, je suis de
votre avis, milord. Que M. Gashford triomphe, à la bonne
heure ! Mais, quant à me traiter de mouchard, milord, vous
savez bien que vous ne le croyez pas. Je ne sais pas ce que vous
entendez par vos causes ; mais la cause pour laquelle j'ai
pris parti, c'est celle d'un homme que je voyais contre deux cents,
et je vous avoue que je me rangerai toujours du côté de cette
cause-là.
– En voilà assez, répondit lord Georges
en lui faisant signe de retourner à sa place. Je ne veux pas en
entendre davantage.
– Si vous voulez me permettre d'ajouter
un mot, milord, je voudrais donner un bon avis à ce pauvre
imbécile : c'est de ne pas rester ici tout seul. La
proclamation a déjà circulé dans beaucoup de mains, et tout le
monde sait qu'il est intéressé dans l'affaire. Il fera bien, le
pauvre malheureux, de se cacher en lieu sûr.
– Vous entendez ce qu'il dit, cria lord
Georges à Barnabé, qui les avait regardés avec étonnement pendant
ce dialogue. Il pense que vous pourriez bien avoir peur de rester à
votre poste, et qu'on vous retient peut-être ici contre votre gré.
Qu'est-ce que vous dites de ça ?
– Ce que je pense, jeune homme, dit John
pour expliquer son conseil, c'est que les soldats pourraient bien
venir vous prendre, et que certainement, dans ce cas, vous serez
pendu par votre col jusqu'à ce que vous soyez mort… mort… mort,
vous m'entendez ? Et ce que je pense, c'est que vous ferez
bien de vous en aller d'ici, et au plus tôt. Voilà ce que je
pense !
– C’est un poltron, Grip, un
poltron ! cria Barnabé à son corbeau, en le mettant à terre et
en posant son drapeau sur son épaule. Qu'ils y viennent ! Vive
Gordon ! Qu'ils y viennent !
– Oui, dit lord Georges, qu'ils y
viennent. Qu'ils se risquent à venir attaquer un pouvoir comme le
nôtre, la sainte ligue d'un peuple tout entier ! Ah !
c'est un fol ! C’est bon, c'est bon. Je suis fier d'avoir à
commander de tels hommes. »
En entendant ces mots, Barnabé sentit son cœur
se gonfler d'orgueil dans sa poitrine. Il prit la main de lord
Georges et la porta à ses lèvres, caressa la crinière de son
coursier, comme si l'affection et l'amour qu'il portait au maître
s'étendaient jusqu'à sa monture, déploya son drapeau, le fit
flotter fièrement, et se remit à marcher de long en large.
Lord Georges, l'œil brillant et la figure
animée, ôta son chapeau, le fit tourner autour de sa tête, et lui
dit adieu avec enthousiasme ; puis il se remit au petit trot,
après avoir jeté derrière lui un regard de colère, pour voir si son
domestique le suivait. L'honnête John donna un coup d'éperon pour
courir après son maître, après avoir commencé par inviter encore
Barnabé à se retirer, par des signes répétés, qui n'étaient pas
équivoques, mais auxquels celui-ci résista résolument jusqu'à ce
que le détour de la route les empêchât de se voir.
Se trouvant seul encore une fois, et plus fier
que jamais de l'importance du poste qui lui était confié, plein
d'enthousiasme, d'ailleurs, en songeant à l'estime particulière et
aux encouragements de son chef, Barnabé se promenait de long en
large, dans le ravissement d'un songe
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