Barnabé Rudge - Tome II
n'aurait pu
expliquer, mais enfin il s'était imaginé ça. Le jeune invalide, en
l’entendant parler, avait pris soin de ne pas se retourner de son
côté, et de se tenir immobile, sans dire un mot, écoutant
attentivement chaque mot de ce que disait Barnabé. Peut-être
était-ce cette attention de sa part, ou sa jeunesse ou son air
franc et honnête, sur lesquels le prisonnier avait bâti ses
suppositions. Dans tous les cas, il avait bâti sur le sable.
L'autre s'en alla tout de suite quand Barnabé eut fini de parler,
sans lui répondre, sans se retourner seulement de son côté. Tant
pis ! tant pis ! Il voyait maintenant que tout le monde
était contre lui ; il aurait bien dû s'en douter :
« Au revoir, mon vieux Grip, au revoir. »
Au bout de quelque temps, on vint ouvrir sa
porte et l'appeler pour sortir. Il fut aussitôt sur pied : car
il n'aurait pas voulu, pour tout au monde, leur laisser croire
qu'il eût la moindre émotion, la moindre crainte. Il sortit donc et
se mit à marcher comme un homme, en les regardant face à face.
Pas un des soldats qui l'accompagnaient ne fit
seulement attention à cette fanfaronnade. Ils le ramenèrent au
champ d'exercice par le même chemin qu'ils avaient pris pour venir,
et s'arrêtèrent là, au milieu d'un détachement deux fois aussi
nombreux que celui qui l'avait fait prisonnier dans l'après-midi.
L'officier, qu'il reconnut, lui dit en peu de mots de bien faire
attention que, s'il essayait de s'échapper, quelle que fût
l'occasion qu'il pût rencontrer de le faire avec une chance de
succès, il y avait là des hommes dont la consigne était de faire
feu sur lui au moment même. Après quoi ils l'enveloppèrent comme la
première fois, et l'emmenèrent de nouveau.
C'est dans cet ordre invariable qu'ils
arrivèrent à Bow-Street [4] , suivis et
pressés de tous côtés par une foule toujours croissante. Là on le
fit comparaître devant un brave monsieur qui n'y voyait pas clair,
et on lui demanda s'il avait, quelque chose à dire :
« Moi ? rien. Que diable voulez-vous
que j’aie à vous dire. »
Après quelques minutes de conversation entre
les officiers de police, dont il ne prit aucun souci, tant il
montrait d'indifférence, on lui annonça qu'il allait se rendre à
Newgate, et on l'emmena.
Quand il fut dans la rue, il était si bien
entouré des deux côtés par les soldats qui le pressaient qu'il ne
pouvait rien voir. Seulement, au murmure qu'il entendit, il
reconnaissait la présence d'une foule considérable, et la mauvaise
disposition des assistants pour la troupe, qui se manifestait par
des malédictions et des coups de sifflets. Avec quelle ardeur il
prêtait l'oreille pour démêler la voix de Hugh ! Mais non,
dans toutes ces voix confuses, il n'y en avait pas une qu'il
connût. Hugh ne serait-il pas aussi prisonnier par hasard ?
alors, adieu l'espérance !
À mesure qu'ils approchaient de la prison, les
huées du peuple devenaient plus violentes. On jetait des pierres à
la troupe. De temps en temps on faisait contre les soldats une
poussade qui leur faisait perdre un moment l'équilibre. L'un d'eux,
tout près de lui, atteint d'un coup à la tempe, mit son fusil en
joue ; mais l'officier releva l'arme avec son sabre, en lui
défendant, sous peine de mort, de tirer. Ce fut là le dernier
incident que Barnabé put voir d'une manière un peu distincte :
car immédiatement après, il fut poussé, ballotté, agité comme une
barque sur une mer orageuse. Mais, c'est égal, qu'on poussât par-ci
ou par-là, il retrouvait toujours fidèlement ses gardes à ses
côtés. Deux ou trois fois il fut renversé avec eux ; mais,
même alors, il ne pouvait échapper un seul moment à leur vigilance.
Ils étaient debout sur leurs pieds, et le serraient de près, avant
que leur prisonnier, embarrassé d'ailleurs par ses menottes, eût pu
seulement songer à jouer des jambes.
Ainsi gardé, il se sentit bientôt hissé et
soulevé jusqu'au haut d'un étage d'escalier, d'où il put un moment
embrasser, d'un coup d'œil, les assauts livrés par la foule aux
soldats, qu'on voyait çà et là faisant des efforts désespérés pour
rejoindre leurs camarades. Puis, le moment d'après, tout devint
sombre et ténébreux. Il se trouva dans le corridor de la prison, au
centre d'un groupe d'hommes inconnus.
Il y avait là un serrurier qui l'attendait
pour river ses fers. Trébuchant sous le poids inaccoutumé des
chaînes dont il était chargé, il fut
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