Barnabé Rudge
qu'avant peut-être ; il est possible aussi qu'elle fût
un peu moins à son aise, car une alerte de ce genre est toujours
saisissante.
Elle n'eut pas sitôt repris sa marche, qu'elle
entendit le même son, semblable au bruit d'une personne qui se
glisserait à pas de loup le long des buissons et des broussailles.
Regardant du côté d'où ce bruit paraissait venir, elle s'imagina
presque pouvoir distinguer une forme rampante. Elle s'arrêta
derechef. Tout était tranquille comme avant. Elle se remit en
marche, décidément plus vite cette fois, et elle essaya da chanter
doucement à part elle. Bon ! encore ! il fallait donc que
ce fût le vent.
Mais comment arrivait-il que le vent soufflât
seulement lorsqu'elle marchait, et qu'il cessât de souffler
lorsqu'elle restait immobile ? Elle s'arrêta sans le vouloir
en faisant cette réflexion, et le frôlement s'arrêta également.
Elle ressentait en réalité de la frayeur à présent, et elle
hésitait encore sur ce qu'elle devait faire, quand des branches
craquèrent, se cassèrent, et un homme plongeant au travers vint se
planter en face d'elle et tout près d'elle.
Chapitre 21
Ce fut pour Dolly un soulagement inexprimable
lorsqu'elle reconnut en la personne qui avait pénétré de force dans
le sentier d'une façon si soudaine, et qui maintenant se trouvait
debout précisément sur son passage, Hugh du Maypole ; elle
proféra son nom d'un accent de délicieuse surprise, d'un accent
sorti du cœur.
« C'était vous ? dit-elle. Que je
suis heureuse de vous voir ! Comment pouviez-vous m'effrayer
ainsi ? »
En réponse à cela, il ne dit rien du tout,
mais resta parfaitement immobile à la regarder.
« Est-ce que vous êtes venu à ma
rencontre ? » demanda Dolly.
Hugh fit un signe de tête affirmatif, et
marmotta quelque chose dont le sens était qu'il l'avait attendue,
et qu'il croyait la revoir plus tôt.
« Je supposais bien qu'on enverrait
au-devant de moi, dit Dolly, grandement rassurée par les paroles de
Hugh.
– Personne ne m'a envoyé, répondit-il
d'un air maussade. Je suis venu de mon chef. »
Les rudes manières de ce garçon, et son
extérieur étrange et inculte, avaient souvent rempli la jeune fille
d'une crainte vague, même quand il y avait là d'autres
personnes ; et cette crainte était cause qu'elle s'éloigna
involontairement de lui. La pensée d'avoir en lui un compagnon venu
de son chef, dans cet endroit solitaire, et lorsque les ténèbres se
répandaient avec rapidité autour d'eux, renouvela et même augmenta
les alarmes qu'elle avait ressenties d'abord.
Si l'air de Hugh n'avait été que hargneux et
passivement farouche, comme d'habitude, elle n'aurait pas eu pour
sa compagnie plus de répugnance qu'elle n'en avait toujours
éprouvé ; peut-être même eût-elle été bien aise de cette
escorte. Mais il y avait dans ses regards une espèce de grossière
et audacieuse admiration qui la terrifia. Elle jetait sur lui des
coups d'œil timides, incertaine si elle devait avancer ou reculer,
et lui, debout, la regardait comme un beau Satyre ; et ils
restèrent ainsi pendant quelque temps sans bouger ni rompre le
silence. Enfin Dolly prit courage, le dépassa d'un bond, et marcha
précipitamment.
« Pourquoi donc vous essoufflez-vous à
m'éviter ? dit Hugh, en accommodant son pas à celui de la
jeune fille et se tenant tout près d'elle.
– Je veux rentrer le plus vite possible,
et d'ailleurs vous marchez trop près de moi, répondit Dolly.
– Trop près ! dit Hugh en se
baissant sur elle au point qu'elle pouvait sentir l'haleine de
celui-ci sur son front. Pourquoi trop près ? Vous êtes
toujours fière avec moi, mistress.
– Je ne suis fière avec personne. Vous me
jugez mal, répondit Dolly. Tenez-vous en arrière, s'il vous plaît,
ou allez-vous-en.
– Non, mistress, répliqua-t-il en
cherchant à mettre le bras de la jeune fille dans le sien. J'irai
avec vous. »
Elle se dégagea, et serrant sa petite main,
elle le frappa avec toute la bonne volonté possible. Ce coup fit
éclater de rire Hugh du Maypole, ou plutôt il poussa un rugissement
jovial ; et lui passant son bras autour de la taille, il la
retint dans sa forte étreinte aussi aisément que si elle eût été un
oiseau.
« Ha, ha, ha ! bravo,
mistress ! Frappez encore. Meurtrissez-moi la figure,
arrachez-moi les cheveux, déracinez-moi la barbe, j'y consens, pour
l'amour de vos beaux yeux. Frappez encore, maîtresse. Allons.
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