Barnabé Rudge
joyeuse (sauf,
hélas ! que l'isolement les y étiole) et prêtent quelques-uns
de leurs propres charmes à la plus lugubre scène. Oiseaux, fleurs,
livres, dessins, musique, et mille choses de ce genre, mille
gracieux témoignages des affections et des préoccupations
féminines, remplissaient de plus de vie et de sympathie humaine
cette seule pièce que la maison tout entière ne semblait faite pour
en contenir. Il y avait un cœur dans cette chambre ; et celui
qui a un cœur ne manque jamais de reconnaître la silencieuse
présence d'un cœur comme le sien.
Dolly en avait incontestablement un, et pas
trop coriace, je vous assure, quoiqu'il y eût autour un petit
brouillard de velléités coquettes comparable à ces vapeurs qui
environnent le soleil de la vie dans son matin et obscurcissent un
peu son lustre. Aussi, quand Emma, s'étant levée pour aller à sa
rencontre et l'ayant baisée affectueusement sur la joue, lui eut
dit, avec son calme ordinaire, qu'elle avait été bien malheureuse,
les larmes vinrent aux yeux de Dolly, et elle se sentit plus
chagrine qu'elle ne pouvait le dire ; mais un moment, après il
lui arriva de relever les yeux, de les voir dans la glace, et ils
avaient en vérité quelque chose de si excessivement agréable, que
tout en soupirant elle sourit, et se sentit étonnamment
consolée.
« J'ai entendu parler de cela,
mademoiselle, dit Dolly, et c'est vraiment fort pénible ;
mais, quand les choses sont au pis, elles ne peuvent que tourner au
mieux.
– Mais êtes-vous sûre qu'elles sont au
pis ? demanda Emma avec un triste sourire.
– Eh ! mais, je ne vois pas comment
elles pourraient donner moins d'espérances. Je ne le vois
réellement pas, dit Dolly. Et, pour qu'elles commencent à changer,
je vous apporte quelque chose.
– Ce n'est point de la part
d'Édouard ? »
Dolly fit un signe de tête et sourit ;
elle tâta dans ses poches (il y avait des poches à cette époque-là)
en affectant de craindre qu'elle ne fût jamais capable de trouver
ce qu'elle cherchait, ce qui rehaussa grandement son importance,
puis elle finit par produire la lettre. Lorsque Emma eut bien vite
rompu le cachet et dévoré l'écriture, les yeux de Dolly, par un de
ces étranges hasards dont on ne saurait rendre compte, errèrent de
nouveau dans la direction de la glace. Elle ne put s'empêcher de se
dire qu'en effet le carrossier devait souffrir beaucoup, et de
plaindre tout à fait le pauvre jeune homme.
C'était une longue lettre, une très longue
lettre, écrite en lignés serrées sur les quatre pages, et encore
entrecroisées, qui plus est ; mais ce n'était pas une lettre
consolante, car Emma pendant sa lecture s'arrêta de temps en temps
pour mettre son mouchoir sur ses yeux. Il est certain que Dolly
s'émerveilla fort de la voir en proie à une si grande
affliction : car une affaire d'amour devait être, dans son
idée, un des meilleurs badinages, une des plus piquantes et des
plus amusantes choses de la vie. Mais elle considéra comme positif
en son esprit que tout ceci venait de l'extrême constance de
Mlle Haredale, et que, si elle voulait s'éprendre de quelque
autre jeune gentleman, de la façon la plus innocente du monde,
juste assez pour maintenir son premier amant à l'étiage des grandes
eaux de la passion, elle se trouverait soulagée d'une manière
sensible.
« Bien sûr, c'est ce que je ferais si
c'était moi, pensa Dolly. Rendre ses amants malheureux, c'est assez
légitime et tout à fait légitime ; mais se rendre malheureuse
soi-même, pas de ça. »
Toutefois un tel langage aurait mal
réussi ; elle demeura donc assise à regarder en silence. Force
lui fut d'avoir une patience du plus gentil tempérament : car,
lorsque la longue lettre eut été lue une fois d'un bout à l'autre,
elle fut relue une seconde fois, et, lorsqu'elle eut été lue deux
fois d'un bout à l'autre, elle fut relue une troisième fois. Durant
cette ennuyeuse séance, Dolly trompa de son mieux la lenteur du
temps ; elle frisa sa chevelure sur ses doigts, en s'aidant du
miroir déjà consulté plus d'une fois, et se fit quelques boucles
assassines.
Toute chose a son terme. Les jeunes amoureuses
elles-mêmes ne peuvent pas lire éternellement les lettres qu'on
leur écrit. Avec le temps le paquet fut replié, et il ne resta plus
qu'à écrire la réponse.
Mais comme cela promettait d'être une œuvre
qui exigerait aussi du temps, Emma le remit après le dîner, disant
qu'il
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