Bataillon de marche
meilleure couleur. Mon vieux a été incorporé dans les territoriaux. – Heide essuya le givre qui blanchissait ses sourcils. – Je connais son « Spiess » (sous-officier). C’est un satan. Nous étions ensemble au 5 e régiment de chars, et ce diable de Spiess m’a promis, aussi sûr que je vous parle, que mon vieux aboutira à Torgau ou à Glatz. De là, vous savez, il n’y a que deux sorties : le poteau ou le bataillon de marche.
– Et comment sais-tu que le Schmidt est en route pour chez nous ?
Heide rit méchamment en essuyant de nouveau le givre sur ses yeux.
– Quand j’ai servi au 2 e régiment de chars, à Eisenach, et que je suis entré à Prague, j’ai fait la connaissance d’un type qui s’appelait Pabst. C’était en réalité un homme de la Gestapo chargé de moucharder les officiers. Le jour où on a été faire la fête ensemble pour la victoire, il m’a avoué qu’il était un homme de Heydrich. Si je connaissais quelqu’un à faire disparaître, je n avais qu’à le dire. C’est ainsi que j’ai réglé le destin de Schmidt le Rouge. Pabst alla le voir, et ça ne traîne pas avec Pabst. En moins de deux, Schmidt lui raconta combien il y avait eu de gekados à l’asile, et il fut fourré à Glatz. Là, je connais un Stabsfeldwebel qui l’accueillit comme il faut. Six mois plus tard, Schmidt le Rouge partait dans des souliers trop petits, vers le bataillon disciplinaire 937, au camp de Heuberg.
Barcelona Blom siffla avec compréhension :
– Tu es futé, Julius, le type n’aurait jamais dû battre ta mère morte. A Heuberg, il y a le feldwebel Mirzenski, notre vieux scribe de la compagnie, qui a perdu les deux jambes.
– Tout juste, dit Heide. Une bouteille de vodka et Mirzenski a préparé au Schmidt un accueil aux petits oignons et un itinéraire de route bien soigné. D’abord, Schmidt est devenu expert à nettoyer les cabinets avec une brosse à souliers et une cuiller ; on ne les a jamais vus si reluisants à ce qu’on dit. Vous parlez si tout le monde s’emploie à « mater » cette brute sur la recommandation de Mirzenski.
Le visage de Petit-Frère s’éclaira et il repoussa son melon sur sa nuque.
– Maintenant, je comprends ! Filou de Heide ! Il va avoir bientôt un aller simple vers le 27 e char, et à l’affectation, tu as l’adjudant Skauw qui s’arrangera pour le diriger sur le 1 er bataillon ; là, tu connais le secrétaire 3, le sergent Hengst, qui est un bon ami de l’adjudant, et qui va expédier le Schmidt dans la direction du secrétariat de la 5 e compagnie où le sous-off Bock l’attend. Rien au monde ne pourra empêcher le type de se présenter à toi à la 1" section. Mon travail consistera ensuite à le faire venir gentiment sur la ligne de tir.
Porta sourit :
– Au poil, Heide ! J’aurais pas fait mieux. Tu lui envoies une balle réglementaire ou une balle sciée ? Comme celle que j’avais réservée au capitaine Meyer ?
– Il aura la sciée, et dans les parties gaies. Mais il aura aussi le droit de durer un bout de temps, et de savoir ce que je compte faire de lui. Je lui raconterai comment ça se fait qu’il est chez nous. Ma seule frousse, c’est qu’on ne rejoigne pas le régiment, ou bien, ce qui serait encore pire, qu’on arrive trop tard et qu’Ivan ait liquidé Schmidt. Cette idée-là, je ne la supporte pas.
La nouvelle éclata comme une bombe : nous étions tout près de la Turquie ! Notre imagination prit des ailes.
Porta se livra à son thème favori : le bordel de luxe, ou une perversité sexuelle quelconque. On est tout de même un civilisé, disait-il.
– Et la boustifaille ? rétorqua Petit-Frère.
– Le plat principal sera de la purée de pommes de terre avec du lard émincé ; on y ajoutera du vin de montagne et du paprika.
Petit-Frère goûtait déjà la purée de Porta.
– Si seulement on pouvait glisser au travers de cette frontière !
Mais le rêve fit long feu. La Turquie était proche et tout de même infiniment lointaine. Nous quittâmes donc le village avec notre attelage de chiens et un N. K. V. D. Heide se remit à engueuler le chien jaune.
COUP DE FEU DANS LA NUQUE
LES chiens s’allongèrent, fatigués. N’importe qui aurait pu voir que nous n’avions pas su les conduire. Alte lui-même, qui savait tout, n’était expert que sur deux points : le métier de menuisier et celui de soldat. Il aimait le premier et haïssait le second ; quant à
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