Bataillon de marche
avait couru de buisson en buisson, de flocon en flocon… La N. K. V. D. arrivait !
Tout le monde se mit à l’œuvre pour hâter nos préparatifs, et le dernier à s’ébrouer fut Petit-Frère qu’il fallut extraire de force de son poulailler. Titubant, trébuchant, il se répandait en propos obscènes.
– Et envoyez-moi votre mari, Madame, il apprendra à me connaître. Maintenant en route, le reste on s’en fout ! criait-il au commissaire découragé qui, les yeux fixes, observait les événements non réglementaires.
– Je danserais bien, fit Julius Heide après sa vingt-troisième lampée de matsje. Sais-tu danser la slapak ? demanda-t-il à une vieille femme qui tenait des propos haineux à l’endroit du commissaire.
Il attrapa une jeune fille et fourragea sous ses jupes.
Tous deux roulèrent à terre, Julius sur la jeune fille. Une scène de viol s’ensuivit, tandis que Fjodor, de plus en plus nerveux, nous pressait de détaler. Dans l’excitation générale, Petit-Frère vida tout un chargeur, déchira une des bottes du commissaire, et arracha le bonnet de Fjodor, mais rien n’impressionnait personne sauf l’arrivée de la N. K. V. D.
Comment le chargement se fit-il ? Je ne l’ai jamais su, mais Fjodor exigea que nous emmenions le commissaire ivre mort.
– S’il reste, nous sommes perdus, dit-il. Tuez-le loin d’ici, c’est une ordure ; jetez-le dans le fleuve, faites un trou, mettez-le dedans. Ils ne le trouveront qu’au printemps. – Et avec un geste expressif, il conclut : – Tranchez-lui la gorge, qu’on soit bien sûr qu’il crève.
– Je m’en charge, dit Heide en examinant la gorge du commissaire.
Et le pacte fut scellé d’une poignée de main.
Le petit artilleur Paul fut amarré sur le traîneau ; Fjodor lui donna l’accolade en lui recommandant de garder sa blessure à la nuque bien à l’abri du froid ; les habitants du village prenaient congé de nous à grand renfort de tapes sur l’épaule, de rires et de cadeaux. Le plus merveilleux de ces cadeaux fut une tente en peau, une de ces petites tentes pointues dont se servent les nomades, qui résistent à un ouragan de neige. Il y avait aussi un lot de poissons séchés aussi raides que des bouts de bois qui fut attaché sur le bord du traîneau.
Puis le départ eut lieu avec solennité. Le commissaire N. K. V. D. suivait, apathique, sur ses skis courts, après un « Job tvojemad » (« Baise ta mère ») qui indiquait que désormais tout lui était égal. Comme il (remettait en bandoulière son fusil mitrailleur, Heide le lui ôta en riant.
– Maintenant te voilà « voina pîenny » (prisonnier de guerre), mon gros, alors il vaut mieux que je porte ton flingue !
Le commissaire haussa les épaules avec indifférence et murmura quelque chose où il était question de Fjodor et de la potence.
– Njet ! rétorqua celui-ci en souriant.
Alte fit claquer le fouet avec un « Ohaï !… » que le chien jaune salua d’un hurlement de plaisir. Le traîneau sortit du village dans un nuage de neige ; derrière nous les paysans chantaient :
« Dassvi dan ja, dassvi dan ja « Plus jamais nous ne vous reverrons « C’est un long, très long voyage,
« Long, très long, « Dassvi danja, dassvi danja… »
Les maisons basses disparurent à l’horizon, nous marchions un train d’enfer ; le froid et l’effort nous dégrisaient, l’éternel combat reprenait.
La troisième nuit, à l’arrêt, le vent commença à souffler, et pour la première fois depuis notre départ le commissaire nous adressa la parole ; c’est-à-dire qu’il s’adressa à Alte seul, car, nous autres, il nous ignorait.
– Il va y avoir une tempête, déclara-t-il après un regard \ ers l’est. Une terrible tempête qui durera plusieurs jours ; il faut monter la tente.
Le Vieux réfléchit, alluma sa pipe, et plissa à demi les yeux pour regarder la fuite des nuages bas.
– C’est ton avis, Piotr ? Alors il vaut sans doute mieux t’écouter, tu connais ton pays mieux que nous.
– Dépêche-toi ! cria le commissaire que le calme de notre chef agaçait visiblement. Dans une heure elle est là et nous serons morts de froid si la tente n’est pas dressée. – Il fit de grands gestes pour appuyer ses dires. – Ouragan, ouragan ! répétait-il en donnant des coups de pied furieux dans la neige.
– Il a raison, dépêchons-nous, intervint le légionnaire. je connais les tempêtes de
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