Bataillon de marche
bat à coups de boules de neige. Nous sommes fous.
– Maman ! crie Petit-Frère, j’ai de la neige dans le dos, le commissaire me taquine.
Heide a un tel fou rire qu’il se démet la mâchoire, et reste planté la bouche ouverte sans pouvoir la refermer.
– Je vais t’arranger ça, dit Porta en lui envoyant son poing dans la figure. Il en faut deux pour remettre l’articulation.
Heide est aussitôt pris d’une telle fureur que Porta prend ses jambes à son cou pour sauver sa peau. Nous étions fous.
Deux semaines plus tard, on arriva aux abords du front ; nous n’avions plus rien à manger, tout le monde était ivre de fatigue ; depuis trois jours les chiens avaient déclaré forfait et nous les avions lâchés dans la nature ; quant au traîneau, on l’avait basculé au fond d’un ravin.
Le N. K. V. D. devenait visiblement nerveux ; sa morgue n’était qu’un souvenir et on voyait clairement qu’il ne pensait qu’à la fuite. Lequel d’entre nous n’y aurait pensé aussi ?
Ce jour-là, nous approchions d’un bois, d’un grand bois d’après la carte, et juste avant de l’atteindre retentit le cri affreux :
– Stoi !
Porta pivota sur place à la vitesse de l’éclair et lança une rafale dans la direction du cri. Le légionnaire en fit autant. On vit des silhouettes s’écrouler.
– Dans la forêt ! cria Alte. Vite !
Heide et le « Professeur » se jetèrent à plat ventre pour couvrir notre retraite. C’était l’occasion qu’attendait le commissaire.
Il se précipita vers ses camarades qui se dissimulaient derrière des murets de neige, courant en zigzag, et criant :
– Uhrae Stalino !
Julius Heide pressa la crosse du fusil mitrailleur contre son épaule :
– Piotr, vieux camarade de guerre, j’ai promis à Fjodor de te couper le souffle. Tu te vengeras, crapule, si j’oublie ma promesse. Ainsi, feu ! Tovaritch.
Le L. M. G. fait entendre ses petits abois courts. Heide ricane en tirant.
– Ça fait mal, vieux ? Tant pis. Julius a juré.
Le N. K. V. D. vacille ; il se relève à demi, vacille de nouveau. Heide ricane toujours. Le corps du Russe est littéralement scié en deux, un feu nourri crépite des tas de neige ; de partout jaillissent de vilaines flammes bleues.
– Chiens ! hurle Heide. Que Satan vous déchire ! – Il fait virevolter la mitrailleuse et maudit le « Professeur » qui ne charge pas assez vite. – Plus vite, héros SS ! Ou je te livre aux collègues ! – Un Russe se lève, une grenade au poing. – Voyez-vous ça, vilain ? – Et une rafale abat le soldat évidemment novice qui est déchiqueté par sa propre grenade. – C’est un salut de Julius Heide !
Quelques cris attestent la justesse du tir, et voilà que la mitrailleuse lourde commence à donner de la voix à l’intérieur du bois.
– Arrêt ! gronde Heide. Toi, héros de la montagne, file pour sauver ta vilaine peau. Nous avons trente secondes avant que les collègues s’habituent à la musique du légionnaire.
Il se couche sur le côté et lance trois grenades attachées ensemble vers le mur de neige le plus proche. Explosion, et feu d’artifice de débris humains.
– Morts en héros, dit Heide. – Il se redresse et, d’un bond, se jette dans le bois en chantonnant d’une voix éraillée :
« O Susanna, la vie n’est pas difficile « Poux un fiancé mort, tu en auras trois mille. »
Heide est heureux. Il adore tuer. C’est le type même de ce que l’on appellerait un psychopathe insensible si, en temps de paix, il passait en justice ; mais nous sommes en guerre, aussi Julius Heide devient-il un bon soldat plein de sang-froid, de qualités de commandement, et doué de l’instinct de la bataille. On le décore pour son courage et on l’admire pour ses qualités de combattant. Si le sous-officier Heide survit, il deviendra instructeur de première classe du combat au corps à corps. Une société utilise forcément beaucoup de Julius Heide ; on aime toutefois mieux ne pas être trop proche.
Il se jeta hors d’haleine à côté de Porta et du légionnaire derrière la mitrailleuse lourde.
– J’en ai eu au moins vingt !
– Bonne chose. Ils vont avoir à réfléchir : combat contre les leurs.
– Ils doivent nous prendre pour des troupes du Brandebourg. Aussi, que Dieu ait pitié de nous si on se fait pincer.
– On sera étranglé avec un barbelé, prédit Steiner. J’ai vu un jour deux Brandebourgeois
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