Bataillon de marche
blessé au ventre et eut la moitié de la mâchoire arrachée. Cela se passait à l’avant du canon. Six chevaux tués, neuf artilleurs, et un haubitz ( Obusier ) de 15 centimètres en vrille. Porta arrêta le char, Heide nous couvrit de son feu. Petit-Frère et moi bondîmes sur Le Borgne qui fut étendu sur le capot et recouvert d’une vieille couverture. On le conduisit à l’infirmerie principale et, cinq minutes après, notre « Tigre » était mis en bouillie par les Jabos ennemis.
COMBAT DE CHARS A LUGANSK
LUGANSK est une mer de flammes, lorsque, dans un bruit de chaînes, nous le traversons à toute vitesse. Partout dans les rues, des corps gisent comme des ordures ; de longues filles de soldats déchirés, sanglants, se hâtent de gagner le couvert illusoire de maisons incendiées.
Un coup de feu. D’autres suivent. Des éclairs fusent de tous côtés. Artillerie, lance-grenades, tirs d’infanterie, PAK (Canon de défense antichar), toute une monstrueuse machinerie conçue pour tuer et détruire.
A l’intérieur du char (nos Tigres de 52 tonnes), c’est un bruit de ferraille : gamelles de cuisine, bidons, gourdes, outils de dépannage, boîtes de grenades vides qui roulent sous les pieds. Porta met les gaz. Le Tigre bondit en avant.
Les mécaniciens couverts de boue cherchent désespérément les unités. Un commandant d’infanterie qui, au beau milieu du chemin, hurle des ordres, est happé par le train arrière d’un Tigre et jeté par terre. Il est pris par les chaînes, le char suivant ne peut l’éviter, et on ne voit plus que ses pieds, des pieds dans de grandes bottes noires avec des éperons.
Personne ne s’en soucie, personne n’en dit mot. Qu’est-ce que c’est qu’un commandant écrasé par des chenilles à côté de tout ce qui se passe à Lugansk dans la nuit du 14 mars ?
Un toit s’effondre et fait pleuvoir un torrent d’étincelles sur la colonne de chars qui attaque.
– Arrête, Porta, par le diable ! Arrête ! hurle Petit-Frère.
D’un bond, il est passé par l’écoutille et galope le long de la rue en flammes.
– Et alors ? gronde Julius Heide. Il nous prend pour un tramway ?
– Ligne 2, ricane Porta. Contrôleuse plate-forme arrière.
Le téléphone siffle. C’est le lieutenant Ohlsen, chef de la compagnie :
– Marchez, bon Dieu ! Pourquoi vous arrêtez-vous ?
Toute la colonne s’embrouille. Mais voilà Petit-Frère.
Il jette quelque chose à l’intérieur du char : c’est un môme de trois ou quatre ans. Porta éclate de rire, passe en première et met les gaz.
– Encore une connerie, dit Alte furieux.
– Je l’ai vu là tout à coup, explique le géant en montrant le gosse tapi au fond du char. Il est tombé juste devant la voiture. Il est à moi, panjemajo ? Et à partir de maintenant, chacun de vous me donnera quelque chose sur les rations, panjemajo ? – Il se lèche les lèvres et caresse une tignasse roussie. – Ce gamin-là et moi, on est ensemble maintenant.
– Ça fera plaisir au Borgne et à Ohlsen quand ils sauront que tu as un fils, dit Alte.
– Je les emmerde. J’emmerde tout le monde. Ça, c’est mon fils. – Il rit aux anges. – Pensez donc, je suis père ! Par Satan, j’ai un fils. Pauvre gosse, est-ce qu’on peut lui faire du mal ? – Il se pencha sur l’enfant mort de peur et tout étourdi, et se montra du doigt.
– Hé ! Tovaritch, toi pljemjanjik ! – Il eut un rire timide. – Et moi, Petit-Frère Otschœnasch !
– Crétin ! gloussa Porta. Tu lui racontes que tu es Dieu le Père I
– Idiot, gronde Petit-Frère, alors traduis à mon fils ce que je veux lui dire.
Porta hocha la tête et saisit le gosse qui s’était réfugié, terrorisé, sous les sacs de munitions, près de la mitrailleuse. Il expliqua en un russe coulant ce que voulait dire Petit-Frère. L’enfant cilla mais parut un peu rassuré en entendant parler sa langue. Ses pieds étaient couverts de brûlures, une estafilade sanglante allait d’une tempe jusqu’à son cou. Le légionnaire le pansa, Heide lui donna une pomme de terre qu’il avala en deux bouchées ; nous n’avions den d’autre de mangeable.
– Je me demande si mon fils fume ? dit Petit-Frère en exhibant une cigarette.
– Con ! grommela le légionnaire qui fit tomber la cigarette.
Mais tout de suite nous oublions le gamin. Les grenades explosives pleuvent ; maison après maison, Lugansk s’effondre dans un océan de
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