Bataillon de marche
ville ou à la campagne, cette guerre d’Adolf devient monotone.
Petit-Frère console son fils adoptif qui pleure à fendre l’âme. Une de nos compagnies légères, compagnie de chars 4, s’avance en soutien de l’infanterie. Il faut rester en embuscade avec les gros Tigres pour tomber sur l’ennemi ; le froid est tel que nous grelottons dans nos vestes. Petit-Frère a sauté au-dehors et court en rond pour se réchauffer.
Mais tout de suite nous sommes dans le bain. Les grenades pleuvent sur les voitures, les premiers blessés gémissent, et des maisons se mettent à brûler. Petit-Frère se jette avec un cri dans notre véhicule ; son oreille droite a disparu.
– Fumiers ! Ils m’ont enlevé une oreille ! hurle-t-il, le visage en sang.
– Aucune importance, rétorqua Porta. Tu ne veux jamais rien entendre.
– Ça fait mal ? demandai-je en regardant la blessure ouverte.
– Viens ici que je t’en fasse autant.
Tout autour de nous, les moteurs ronflent, l’air vibre, les chenilles ont un cliquetis redoutable, des grenades sifflent et éclatent. Un nuage de feu et de fumée monte vers le ciel. Avant même qu’il ne soit retombé, ça recommence. C’est l’annonce d’un violent tir de barrage russe.
On dirait que quelque chose d’important se prépare.
– Ça se gâte, murmure Alte en tournant le périscope.
Qua id le Vieux dit que ça se gâte, c’est que ça va mal. Le Vieux ne dit jamais rien sans y avoir mûrement réfléchi ; il peut, comme un vétéran du front, sentir les événements ; c’est un vrai baromètre.
Le lieutenant Ohlsen au téléphone : « Qu’en pensez-vous, Beier ? » Alte racle sa gorge et suce sa pipe : a Ça ne me plaît pas. Ivan prépare une vacherie ; si seulement on pouvait voir à cent mètres. »
La compagnie avance en cliquetant le long du chemin. L’un après l’autre, nous passons un petit pont de bois qui craque aux jointures ; les téléphones murmurent, les hommes parlent de l’attaque. Il y a dans toute cette nuit une certitude qui vous tord le cœur.
Une attaque de nuit, c’est effroyable pour des chars. Ici, nous sommes des aveugles, sur un sentier étroit au milieu d’un marais. Des langues de feu de plusieurs mètres sortent des pots d’échappement et éblouissent les conducteurs des voitures suivantes. Et les Russes doivent nous voir, car leurs coups nous suivent avec précision.
La compagnie de chars 4 se range en formation de combat ; nous nous glissons à moitié hors des écoutilles pour essayer de discerner quelque chose.
– Quelle merde ! dit Alte. On ne voit même pas sa main.
Un char dérape dans une trappe et s’embourbe ; on essaie de l’en sortir, mais îles câbles se cassent comme du fil. Le commandant Mercédès arrive en courant, son fusil mitrailleur brinquebalant sur son gros ventre ; il n’a vraiment rien d’un commandant de régiment.
– Crétins ! Qu’est-ce que vous foutez ici ?
– La tension monte chez le Vieux, répond Porta rigolard.
Mercédès se penche sur un câble et le fixe au crochet d’un véhicule ; il porte de gros gants de travail comme ceux des dockers. Et tout à coup, les orgues tonnent, l’artillerie lourde tire sur nous. Le commandant saute adroitement dans le char le plus proche, et personne ne lui aurait cru tant de légèreté avec ses 125 kilos. Les panneaux se ferment, les éclats de grenades résonnent sur les parois.
– C’est le grand jeu, dit Porta. Ivan ne manque de rien.
L’attaque d’artillerie devient un ouragan de feu et d’acier. Ils tirent avec tous les calibres sur l’avance allemande. Et voilà que le gamin recueilli par Petit-Frère se met à hurler.
– Fais-le taire ! crie Alte hors de lui. Je deviens dingue si le gosse s’en mêle !
A cet instant, la voix de Barcelona Blom résonne dans le téléphone :
– Vois-tu quelque chose, Vieux ?
– Si seulement on le pouvait ! On ne sait même pas où on est !
– Où est Ivan ? Les chars de la compagnie 4 sont écrasés.
Puis un silence subit. Dans notre panique, nous nous mettons à tirer à la mitrailleuse ; les projectiles se suivent comme des perles de lumière dans la nuit et se croisent avec d’autres, en avant de nous. Nos positions d’infanterie se taisent ; elles attendent terrifiées ce qui va se passer. L’initiative est maintenant aux Russes.
Des chars de plus en plus nombreux ne répondaient déjà plus à l’appel. Ohlsen se retire vers la
Weitere Kostenlose Bücher