Bataillon de marche
flammes léchantes. Nous sortons de la ville pour nous mettre en position devant un large chemin creux. Lentement, presque à tâtons, nous avançons ; quelques ombres sortent en courant des décombres et se dirigent vers nous. Le légionnaire a un rire mauvais :
– Tu tuées !
Ce n’est que lorsque la dernière ombre s’écroule que nous nous apercevons de notre erreur : c’est notre propre infanterie. Ils étaient enfermés dans les maisons et s’étaient crus sauvés en nous apercevant, mais il est difficile de distinguer les vestes camouflées des uniformes kaki russes.
A toute vitesse, les chars traversent la banlieue ; on vire sur la gauche à travers quelques beaux jardins ; un bassin éclate en morceaux quand nous passons dessus. Les champs semblent être devenus vivants sous les masses kaki qui déferlent, et tout le monde n’a qu’une pensée : fuir ! fuir loin de cet enfer 1
– En avant ! crie le téléphone. – C’est le commandant Mercédès. La voix sonne, surexcitée.
Les moteurs hurlent sur le mode aigu ; les chaînes d’acier cliquettent, les cinquante Tigres fauchent la masse humaine en panique. Sans répit, nous virons au milieu d’une plaine kaki ; c’est une moisson faite à coups de mitrailleuses et de lance-flammes ; seize roquettes partent. Tout s’enflamme par l’essence répandue.
Nos pionniers montent à l’attaque avec les lance-flammes légers ; des troupeaux d’infanterie russe surgissent de partout, se précipitent vers l’arrière, font demi-tour, courent vers l’avant, puis vers l’arrière. Chaos ! ils tournent de tous les côtés, se jettent par terre, grattent le sol avec désespoir pour trouver un abri. Et les chenilles les happent, les écrasent… Voilà qu’un de nos canons, celui de la tourelle, s’enraie.
Le petit légionnaire s’y met très tranquillement Deux cartouches se sont coincées dans la culasse qu’il extirpe avec sa baïonnette, puis il remet un chargeur et recommence à tirer. Petit-Frère rit comme un dément en arrosant la masse humaine, Heide charge les grenades explosives. Et, tout à coup, silence… Personne ne tire plus, ce n’est plus nécessaire. Les Tigres chassent devant eux la foule des Russes vers les positions allemandes, au sud-est de Lugansk, où on les rassemble en troupeaux pour les emmener vers l’arrière.
En avant dans les positions russes ! Nous nous enfonçons profondément, enivrés de victoire. Un bizarre sentiment maladif qui s’empare des plus raisonnables eux-mêmes, à ces moments-là.
Soudain, un bruit métallique et strident manque de faire éclater nos tympans : une grenade PAK nous a atteints avec une telle force que notre char en a bougé ; mais, chose curieuse, la grenade ne pénètre pas.
– Filons ! crie Alte qui regarde effrayé dans le périscope.
Le canon antichar doit se trouver là quelque part, et nous attendons d’une seconde à l’autre la prochaine grenade. Porta met les gaz et, faisant feu de toutes les pièces, nous fuyons vers les lignes allemandes.
On nous renvoie en position à un embranchement sur la lisière de Novoajdar. Un caporal russe s’exerçait à sauter juste devant nous, tirant après lui un « coup de poing » antichar.
– Il doit avoir la gratte, murmura Porta.
Nous le suivons des yeux, tandis qu’il saute, penché en avant, de trou en trou.
– Archicinglé, dit Alte.
Trente-cinq mètres environ devant notre char, le caporal disparaît dans un trou de grenade ; on le voit relever le « ccoup de poing » et l’installer sur le bord du trou.
– Je le descends ? dit Petit-Frère en pointant sa mitrailleuse.
Telle est notre stupeur que personne ne répond. Nous en avons les yeux ronds ; on ne peut imaginer qu’un homme seul s’attaque de face à un char. Les balles traçantes de Petit-Frère égratignent la neige juste devant le trou ; très tranquillement, je fais virer le canon et j’appuie sur la détente électrique. L’éclair et le coup sont simultanés. Dans le rideau de feu et de fumée, on aperçoit le fou, jeté en l’air, retomber, et nous n’en croyons pas nos yeux en le voyant, gravement blessé, ramper sous quelques buissons. Petit-Frère envoie une autre salve dans sa direction.
– Laisse cet imbécile en paix, dit Alte.
En effet, nous avons bientôt d’autres chats à fouetter. Dans le téléphone, la voix d’Ohlsen : « T 34 à droite, distance 2 000. »
– Seigneur ! dit Porta, en
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