Bataillon de marche
c’était qu’un tir de barrage, on ne nous avait pas parié des mortiers légers russes, ou seulement en s’en moquant ; avant même d’avoir compris le danger, mes compagnons étaient tous en bouillie.
– Tu dis vrai, intervint Barcelona. Bien sûr qu’on aime mieux voir les gens comme toi sous un T34, mais tu fais quand même pitié ; tu as cru que la guerre c’était un pique-nique. Zt quelle formation avez-vous eue à la Division Viking ?
– Six semaines, six dures semaines.
– Seigneur ! ricana Alte. Nous, trois ans, trois dures années. Et la notre de guerre, elle a débuté gentiment par la Pologne. Manœuvres à tir réel, je t’en réponds ! Combien en reste-t-il de tes camarades ?
– Dans la compagnie du régiment de Norvège formée à Klagenfurt, il y avait deux cent trente-cinq volontaires qui ont tous été chez les « Vikings » en Ukraine. Le premier jour, il en est tombé cent vingt et un ; nous étions entrés comme ça, dans un feu nourri d’orgues de Staline ; au moment où on ramenait les blessés sur un camion, des avions ont nettoyé le chemin. Notre chef de compagnie, Hauptsturmführer SS qui était de chez nous, devint fou et se suicida. Deux jours plus tard, on en fusilla huit d’entre nous pour désertion devant l’ennemi ; neuf autres furent mutés dans des régiments disciplinaires pour avoir dit que nos officiers de carrière étaient bien plus traîtres que nous, qui n’avions jamais été à l’armée et n’étions que de malheureux volontaires. Ils m’ont fouetté pendant six heures à la prison disciplinaire de Lemberg ; un de mes camarades avait craché sur Je SS Obersturmbannführer Gratwohl, commandant du tribunal spécial de Lemberg ; on l’a étranglé avec un fil de fer en l’appelant cochon de Norvégien.
– Pourquoi avait-il craché sur ce fumier de commandant ? s’étonna Petit-Frère. Nous, je comprendrais ; mais vous, vous étiez des gens à Himmler.
Le « Professeur » ne répondit pas tout de suite ; il n’avait pas envie de continuer, mais notre curiosité était en éveil et nous le pressions de questions. H commença d’une voix lente :
– L’Öbersturmbannführer Gratwohl nous raconta qu’il avait servi à Trondheim, dans l’Organisation Todt, lors de la construction de la base de sous-marins, et qu’il connaissait bien la Norvège et les Norvégiens : un ramassis de matelots, et parmi les pires, qui n’étaient pas dignes d’être mêlés au peuple de la Grande Allemagne ; une nation de va-nu-pieds, à plat devant les Anglo-Américains. Mais les Norvégiens seraient mis au pas, après la guerre. Alors mon camarade est devenu fou de rage et a craché à la figure du SS. Celui-ci donna l’ordre à deux autres SS de « s’occuper » de mon camarade qui, à la fin, demanda grâce. Pourtant, nous autres Norvégiens, nous sommes durs, c’est la mer et la montagne qui nous ont dressés.
Il y eut un silence. Heide mit un bras autour des épaules du soldat.
– Eh bien, maintenant, il s’agit de garder le museau hors de l’eau. La victoire des autres s’approche, ce jour-là ta Norvège sera libre et vous enverrez les Gratwohl en enfer, à coups de botte. Evidemment, ton cas ne sera pas bon, mais on te donnera un certificat.
– Si seulement je pouvais faire une seule promenade sur la Kairl Johan, rêva le petit Norvégien. Ou boire un café dans un des caboulots sous les arbres avec une « jente » !
– Une quoi ? demanda Porta stupéfait.
– Une « jente », dit Barcelona en riant, c’est une fille ; ça se dit « jente » en norvégien.
– Je trouve que « putain » sonne plus civilisé, dit Petit-Frère. – Il savoura le mot en se grattant le cou avec sa baïonnette. – J’en aimerais une si chaude de la cuisse qu’on aurait des ampoules rien qu’en y touchant.
Le sujet intéressait tout le monde. Steiner se balançait comme un ours, le cerveau en délire.
– Les gars ! Retirer les frusques à une femme mariée ! – Il se lécha les babines en y pensant. – J’en ai connu une, une fois, à Heidelberg. Un volcan dans le genre, faut le connaître aussi bien qu’un T 34. Tous deux c’est chatouilleux dans le moteur. Il faut mettre en route avec précaution et changer de vitesse comme il faut. Si elle a un petit serre-ventre, je ne l’enlèverai pas ; j’aime bien qu’elles le gardent pour relever les cylindres.
– Moi, je préfère ça autrement, dit
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