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Bataillon de marche

Bataillon de marche

Titel: Bataillon de marche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sven Hassel
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et arracha son pansement :
    – Personne ne sortira vivant de mes mains ; je veux voir des cadavres. – Il caressa son fusil mitrailleur. – Coups au ventre, promit-il.
    L’attaque commençait. A l’œil nu, on voyait la marée de l’infanterie russe qui montait à l’assaut de nos tranchées ; on entendait leurs « Uhrae ! ». Le front évoquait un océan brunâtre déchaîné car, aussi loin que portait la vue, grouillaient les Russes. Des milliers, puis encore des milliers ; les nôtres sont une goutte insignifiante dans cette mer humaine illimitée. Abandonnant les positions, jetant armes et casques, ils fuient pour sauver leur peau. Que peut-on opposer à un pareil raz de marée ?
    Les balles traçantes fusaient ; tout crépitait et tonnait dans un staccato de sabbat. C’est un matin gris et spectral, un jour comme bien d’autres, et pourtant le dernier pour des milliers d’hommes dans ce secteur du front. Jamais on ne saura le nombre des morts que coûtèrent ces vingt-quatre heures. Dans les deux camps, on brûla les listes parce que la bataille de Lugansk fut trop chère. Le communiqué déclara simplement : « Attaque locale dans le secteur de Lugansk arrêtée par notre artillerie. La position a été tenue. »
    Dans le téléphone retentit la voix de Mercédès :
    – Section de chars lourds, écoutez. Les Tigres attaquent avec toutes leurs armes. Chars, en avant ! Remblai de chemin de fer à quatre cents mètres.
    La voie et le remblai ne sont qu’un chaos de fûts d’huile, de locomotives et de wagons renversés ; çà et là, les rails déchiquetés se dressent vers le ciel comme de longs doigts accusateurs. Sur un rail, le corps d’un grenadier allemand tourne comme une girouette ; l’explosion d’une grenade l’a projeté en l’air et il est retombé en s’empalant sur le rail.
    Du haut du remblai, la vue s’étendait comme d’un balcon sur toute la plaine ; l’infanterie russe déployée se confondait avec l’horizon et, au milieu de cette fourmilière de soldats kaki, grouillaient des batteries contre avions et des PAK traînés pair des chevaux.
    – C’est pas possible ! murmura Alte. C’est pas Dieu possible qu’ils soient aussi nombreux !
    – Par Allah ! s’écria le légionnaire, à côté de ça les attaques kabyles dans l’Atlas n’étaient que manœuvres de compagnies.
    Un roulement de chenilles, et les murs, les pierres, les gravats s’écrasent en nuages ; la chaleur de l’incendie nous saute à la figure ; partout les Tigres attaquent et se pressent comme des monstres préhistoriques, en position de combat. L’œil collé à l’optique, nous tirons comme des fous, et les rangées de balles traçantes sont si serrées qu’un parapluie de feu descend sur le terrain ; on voit distinctement les balles traverser le premier, puis le second, puis le troisième combattant.
    Les premiers ennemis s’arrêtent, frappés par ce bélier monstrueux. Un instant, la mer humaine hésite, puis elle tente de reculer. Impossible. Ceux qui sont derrière les pressent ; alors ils se jettent à terre, mais nos canons s’y mettent ; des grenades explosives de 8,8 et de 10,5 creusent des geysers au milieu des corps.
    Après chacun des coups, une vapeur suffocante nous aveugle pendant quelques secondes ; le ventilateur tourne mais on n’a pas le temps d’aspirer suffisamment d’air frais ; le gaz de la poudre brûle les yeux et les gorges ; les chargeurs, l’un après l’autre, sont jetés au-dehors par le fond ; les étuis à grenades disparaissent par les portières latérales. C’est Heide qui est notre chargeur ; il travaille comme un dément, chargeant les grenades dans les culasses qu’il ferme avec son front ; la sueur coule sur son visage noir de suie ; ses yeux blancs brillent comme ceux des fantômes ; il gronde sans arrêt : « Quelle merde ! » Ses gants ignifugés sentent le roussi, et plusieurs fois le feu prend à nos vêtements ; nous éteignons de nos mains les étincelles sans nous apercevoir qu’elles brûlent.
    Le char vibre et tangue et la furie de la chasse nous saisit. Nous la connaissons déjà, mais c’est toujours nouveau. On oublie île danger, on oublie la mort, on oublie les buts de la guerre ; on n’a plus qu’une seule pensée : TUER ! Ce qui est là, en kaki, devant nous, ce ne sont plus des hommes, des soldats comme nous-même, ce sont des démons, des bêtes de proie à écraser, et nous les

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