Bataillon de marche
écrasons, ivres de joie, car nous aussi sommes des bêtes de proie qui tuons pour le plaisir de tuer. Ils peuvent être fiers de nous, nos instructeurs de la caserne !
Nous rions. C’est une vocifération de fous. Que c’est exaltant de voir des hommes rouler sous les chenilles ! Quand on les aperçoit, tapis dans des trous comme des lièvres apeurés, on se rue sur eux, on arrête le char sur le trou et on broie tout, en avançant, en reculant… Les chenilles grincent, la terre gicle ; nous avons jeté les calots, les vestes suivent ; on travaille avec des yeux fous et des dents qui luisent, blanches comme de la craie dans des visages ruisselants de sueur et d’huile. Petit-Frère hurle comme un loup. On tue, on tue, à la mitrailleuse, au lance-flammes, au canon. Des Russes courent en rond, pris eux aussi de folie devant cette tuerie démente ; d’autres se battent, fanatiques, acharnés ; même blessés, ils continuent, tirant sur les chars avec des revolvers, des fusils, des mitrailleuses, mais ils ne peuvent rien contre nous ; il faut s’approcher à 100 mètres pour que leurs antichars aient un effet. Et des enragés approchent en effet, aussi près que possible, avec des bombes magnétiques et des cocktails Molotov ; nous en voyons éclater autour de nous, mais les magnétiques sont difficiles à faire adhérer à un Tigre dont toute la carrosserie est vaporisée de ciment ; il faut les fixer à une chaîne qui peut s’enrouler autour de la coupole, mais c’est au détriment de la force explosive.
Il y a encore trois mois, nous redoutions comme le diable ces combats corps à corps ; maintenant ce n’est plus rien, c’est l’action de fanatiques à moitié déments.
– Tigres, en avant ! En avant ! hurle Le Borgne au téléphone. Sortez vos doigts du trou du cul, bon Dieu 1 Chassez-les en enfer !
Le cri des moteurs devient plus aigu. En avant, les Tigres ! Une énorme masse qui tangue sur la steppe grise comme des navires de guerre. Devant nous, fuient tête baissée des cohortes d’infanterie ; les grenades explosives éclatent au milieu, les corps déchiquetés volent dans l’air, les membres retombent sur les chars avec un bruit mat et les transforment en étal de boucherie. Le ventilateur ronfle inlassablement mais la puanteur du sang donne la nausée. Alte vomit. Ça me gicle dans la figure, je ne m’en rends même pas compte.
– Dernière grenade, dit soudain Heide en fermant la culasse.
– Mes chargeurs sont vides ! crie Petit-Frère qui tire son ultime salve.
– Et plus que trente litres d’essence, appuie Porta.
– En arrière ! ordonne le Vieux.
Derrière la gare des marchandises, les chars de ravitaillement sont là ; en un temps record on fait le plein, il y a tellement de grenades qu’on peut s’asseoir sur le tas et Petit-Frère, sans façon, s’y installe. Porta éclate de rire :
– Un seul pruneau d’Ivan, et tu files tout droit au ciel avec la charge au cul !
– Un long voyage doit se faire vite.
Et Petit-Frère se prélasse sur son lit de grenades.
Nous repartons. Le téléphone siffle. C’est le commandant qui crie ses ordres d’une voix enrouée.
– Chars russes en formation de pointe, à droite. Tirez dans le tas. Distance 1 200 mètres. En avant sur le bétail, hé ! emmanchés.
Cette fois, ce n’étaient plus des chars isolés mais des vingtaines de T 34 dont les ventres noirs s’élevaient par-dessus le remblai, de l’autre côté de la ligne de chemin de fer. Je me sens trembler de la tête aux pieds. A ces momentslà, c’est épouvantable de se trouver dans un char.
– Feu ! commande le Vieux.
En un clin d’œil, les premiers T 34 sont en flammes, mais de notre côté d’immenses torches brûlent vers le ciel. Nos compagnies légères, chars 3 et 4, sont écrasées. A perte de vue dans la plaine, ce ne sont qu’épaves d’acier chauffées à blanc qui dégagent l’immonde odeur de chair brûlée. Les explosions se succèdent, les véhicules sautent en miettes, lorsque le feu atteint les munitions et les réservoirs à essence.
Mes grenades filent comme l’éclair sur les T34 ; nous avons 28 coups au but. Heide prend ma place à l’optique et il tire beaucoup mieux que moi ; chaque fois qu’il vise, un trait blanc s’inscrit sur le mur de la tourelle, pour pouvoir ensuite peindre un cercle blanc autour du canon. Porta jubile quand il voit sauter un T 34.
– Magnifique Julius, mangeur de
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