Bataillon de marche
Brücker.
– Oui, à peu près, acquiesça le général avec réserve. – Il se décida à manger le morceau. – Pouvez-vous m’en débarrasser ? Vous comprenez, Briicker, il ne faut surtout pas qu’on sache que c’est moi qui le fais muter. Surtout pas ! Je dois au contraire avoir l’air de tout faire pour le retenir.
Il eut un rire nerveux pendant que Brücker opinait du bonnet.
– Ce sera fait en un clin d’œil, mon général. M va aboutir, telle une étoile filante, dans les tranchées de première ligne. Si possible, dans une unité SS en Ukraine.
Le général se frottait les mains.
– Si ça marche, vous serez capitaine dans deux mois.
« Vantard ! pensa Brücker, je peux le devenir sans toi. Me demande ce que cet adjoint sait sur ton compte puisque tu tiens tant à t’en débarrasser. Mais c’est un crétin, et il mérite tout de même d’être expédié chez les héros. »
Quatre heures plus tard, le sort de l’adjoint était réglé. Du service du personnel de l’armée arriva par téléscripteur une dépêche qui l’envoyait en affectation spéciale à l’armée du Nord. Le général, avec la plus grande bonté, essaya de porter secours au malheureux éperdu, mais rien n’y fit. Partout la même réponse :
« Ordre venu d’en haut. »,
On aboutit tout à fait au sommet, là où le général lui-même n’osait pas intervenir, et il eut froid dans le dos en s’apercevant des relations dont disposait son officier d’ordonnance. L’adjoint reçut de bonnes promesses, un colis de denrées excellentes, et partit le soir même pour Riga. De là, il passa en Finlande. Ses papiers portaient : « Secteur du front : Suomisalmi. Destination : Régiment de chasseurs de montagne. » C’était le régiment allemand le plus exposé au nord et baptisé « Le Frigidaire ». On disait que, par dix fois, le régiment était mort, gelé.
Peu de temps après, von Grabach s’informa du feldwebel. Schroll répondit qu’à son grand regret l’homme avait été muté, mais si le général le désirait on pourrait le retrouver. Toutefois, en apprenant qu’il appartenait désormais à une autre armée, von Grabach n’insista pas. La chose pouvait amener des complications, car le service du personnel de l’armée se montrait en certains cas péniblement curieux. Il lui restait à classer l’affaire et à tirer son chapeau à son collègue. Ce dernier ne manquait pas de cervelle.
Le même jour, il reçut deux caisses de cognac et le général Schroll partit se reposer à Baden-Baden.
– Le service vous use, dit-il sur le quai de la gare.
Le cognac de l’Intendance fut un tel velours sur l’estomac du général von Grabach qu’il reçut le conseiller d’Etat Berner dans les nuages de l’euphorie. La conversation dura très longtemps. Le conseiller suppliait qu’on usât de clémence envers son fils, le lieutenant d’artillerie Heinz Berner.
Tout d’abord, le général resta olympien, mais il se rendit vite compte que le conseiller d’Etat avait des relations, de puissantes relations. Il devint amical et promit de faire ce qu’il pourrait.
– Mais vous le comprenez, monsieur le conseiller d’Etat, c’est difficile, extrêmement difficile. Ce n’est pas moi qui décide, je reçois mes ordres d’en haut. Moi, je les gracierais tous bien volontiers, tous autant qu’ils sont, je suis contre la brutalité, mais la discipline, monsieur le conseiller d’Etat, passe avant tout. Il faut obéir aux ordres.
– C’est une guerre épouvantable, murmura le conseiller.
Le général lui donna raison en silence.
– Le crime de mon fils est un crime passionnel, il n’était pas normal quand il l’a commis. – Berner pianotait nerveusement. – Obtenez que mon fils soit envoyé dans un bataillon disciplinaire. Tant pis ! Même parmi des condamnés de droit commun… – Berner parlait à en avoir chaud.
Le général opinait du bonnet. Il ferait l’impossible pour sauver son fils…
– Nous autres, gens de la meilleure société, il faut nous soutenir, ajouta le conseiller.
Ils prirent le café ensemble ; le café et le cognac. Au quatrième cognac, le général se vit invité chez les Berner, à Hambourg Blankensee. En retour, le général promit de faire suivre le recours en grâce jusqu’au sommet.
Berner rentra chez lui le cœur en fête, et ne put s’empêcher de parler de l’affaire à ses compagnons de voyage.
– Nous avons des généraux
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