Bataillon de marche
Le travail fut si mal fait qu’on la rudoya, avec menace d’être signalée à l’inspection du travail, ce qui signifiait mutation dans une fabrique de munitions. Trois mois plus tard, elle se suicidait en se jetant devant le métro à la station Saint-Paul.
A Torgau, tout le monde avait lu la lettre du conseiller Berner et nous étions persuadés que son fils était sauvé.
– Sainte Vierge ! s’écria Heide stupéfait. C’est la première fois que je vois ça ! Tu peux dire que tu es un veinard, Heinz !
Heinz Berner, au comble du bonheur, riait. Nous étions assis sur son lit. La cellule rayonnait de joie.
– Tu me fais l’effet d’un ressuscité, dit Porta. En tout cas, maintenant, tu es un copain et plus un morveux d’officier. On t’emmènera au « Cochon mouillé » !
Alte seul restait sceptique.
– C’est trop beau, dit-il lorsque nous eûmes quitté la cellule. Je ne comprends pas comment son père peut le savoir alors que, nous, nous ne savons rien. On aurait dû avoir l’avis par téléscripteur.
– A la Légion, dit Kalb, j’ai vu un cas semblable. Un type était presque au poteau quand on est arrivé tout courant avec la grâce.
– C’est bizarre, marmonnait le Vieux. Y a quelque chose qui me dépasse. Je pense tout de même que personne n’aurait eu le cœur de plaisanter avec ça !
– Tu paries ? demanda Porta.
– Sottises ! s’écria Alte. Je ne parie pas sur ce genre de choses.
Ce fut Barcelona qui rapporta la nouvelle du secrétariat. Pâle comme un mort, il n’arrivait pas à articuler ses mots.
– Ils fusillent Heinz… Demain matin… 5 heures.
– C’est impossible !
– J’ai vu les papiers, bégayait Barcelona. C’est signé du général. Le Hauptfeldwebel a la feuille bleue sur sa machine…
Nous nous regardions.
– Pauvre, pauvre type ! chuchota Alte. Ça va être épouvantable.
– Il compte être libéré demain.
– Qui va le lui dire ?
– Moi, proposa Petit-Frère. Quand on pense que je ne pouvais pas supporter ce genre d’officier ! Et maintenant, ça me fait de la peine… C’est pas souvent que quelque chose me fait de la peine.
– Mais, j’y pense, dit Porta, qui doit le fusiller ?
– Nous, répondit à voix basse Barcelona. Ce fut une clameur. Barcelona hocha la tête.
– Oui, le premier groupe. C’est notre tour. Il y en a trois autres en plus de Heinz, alors vous voyez, toute la section aura du travail. Aucune chance d’être remplacés.
Le légionnaire se mordait les ongles :
– Alors, il va falloir lui donner un coup de main. Aucun ne se fera porter malade, compris ? – Il tira de sa poche deux cigarettes d’opium et les tendit à Petit-Frère. – Donne-lui ça. Pour faciliter les choses. Moi, je vais trouver le sani pour une piqûre de plus que celle qui est permise.
– Quand on fera la révolution, gronda Porta, je ferai gracier les condamnés et quand ils se croiront sauvés, je les pendrai le lendemain.
– Ça te passera, dit Alte. Crois-moi, tu n’en pendras pas un seul.
– Je vais chez Heinz, dit Petit-Frère. Mais je jure que le commissaire de police MuMerwitz, du poste de la Daidstrasse, sera pendu par moi personnellement quand on en aura fini avec la guerre à Adolf, et ça malgré tous les Ivans et les Ricains de la terre.
– Va chez Heinz, mais fais-le bien, dit le Vieux. Petit-Frère ouvrit la porte de la cellule et trouva
Heinz qui lisait. Il s’appuya au mur et jeta les clefs sur la table. Berner leva la tête.
– Tu ne viens tout de même pas me dire que je suis libéré ? Je suis tellement heureux que je n’arrive pas à manger.
Petit-Frère lui tendit une cigarette. Ils fumèrent en silence. «
– Crois-tu que demain à cette heure-ci je serai transféré dans un régiment disciplinaire ?
– Non, articula Petit-Frère. Je ne crois rien du tout.
Allons-y, pensait-il en regardant la fenêtre grillagée pour éviter le regard du prisonnier. Il faut le dire ; il faut que ce soit fait avant que le prêtre ne vienne. » – Il regarda l’étagère des livres au-dessus de la table de bois rude, puis fixa Berner en face. L’officier, plein d’une attente joyeuse, lui rendait son regard.
– Que tu es bizarre, Petit-Frère. Tu es le bandit le plus brutal que j’aie jamais rencontré, tu serais la terreur de tout bourgeois, mais Dieu sait ce qu’on arrive à t’aimer.
– Je ne suis pas un brave type, gronda Petit-Frère, et je ne
Weitere Kostenlose Bücher