Bataillon de marche
veux pas en être un.
– Qu’est-ce que tu as ? demanda Berner avec étonnement. Il se passe quelque chose ?
– Sois courageux, copain. Ils ne vont pas te lâcher.
– Qu’est-ce que tu dis ? – Berner se leva d’un bond. – Je ne suis pas gracié ?
– C’était de la foutaise.
– Tu te trompes ! gémit le lieutenant en saisissant la main de Petit-Frère. – Il était blanc comme un linge, vidé de sang. Les murs de la cellule se mirent à tourner. Il chercha à tâtons la lettre de son père et la tendit à son compagnon. – Regarde ! C’est écrit là : « Nous avons obtenu ta grâce et ta mutation dans un régiment disciplinaire. » Ce n’est pas possible ! II n’aurait jamais écrit ça s’il n’en était pas sûr. C’est une erreur. Il s’agit d’un autre qui porte le même nom que moi…
– A Torgau, il n’y a qu’un seul lieutenant Heinz Berner, et c’est toi. C’est ton tour, copain, dit Petit-Frère avec difficulté.
Berner s’écroula comme une masse.
– Qu’est-ce que c’est ? grogna Petit-Frère éperdu en se penchant sur le condamné à mort qui revenait lentement à lui.
Le prêtre se trouva là tout à coup. Il portait l’uniforme de campagne gris, avec l’aigle à la croix gammée sur la poitrine, et le crucifix pendant à son cou. C’était un tout jeune homme qui avait rang d’Oberlieutnant. Un instant, il regarda les deux hommes. Ses yeux croisèrent les yeux féroces de Petit-Frère et il se mira dans un abîme de haine. Ici, il n’avait rien à faire et il se retira sans un mot.
– Quand ? chuchota Berner en écrasant la main de Petit-Frère.
– Demain matin, 5 heures.
– Qui doit le faire ?
Le géant ne répondit pas tout de suite. Il contemplait la lampe encastrée au plafond.
Berner se leva et se mit à faire les cent pas, ses mains pressées contre son visage. Il s’arrêta devant Petit-Frère et le saisit aux épaules.
– Qui doit me fusiller ?
– Nous.
– Camarade, aide-moi ! Je ne tiens pas 3e coup. C’est bien pire maintenant que je me suis cru sauvé.
Petit-Frère tambourinait sur la table.
– Donne-moi un coup sur la tête avec la crosse de mon revolver et puis colle-toi une balle, ce sera fini. Mais fais vite ! Sans ça, c’est moi qui en aurai douze et ça ne me sourit pas, c’est compréhensible.
– Je n’ose pas, pleurait Berner. J’ai peur. Toi, tire 6ur moi comme si je me sauvais.
– A ton arrivée ici, je l’aurais fait avec plaisir, mais pi is maintenant. Je ne peux pas tirer sur un copain. Demain, je ne tirerai pas sur toi et Porta non plus.
– Et si les autres ne tiraient pas non plus sur moi ?
– T’en fais pas, mon pauvre ! Ils viseront bien. Ils ne sont pas au courant de nos manigances à Porta et à moi, et c’est bien comme ça. Sinon, tout le groupe passerait en conseil de guerre et on serait fusillés tous les douze. Tu le sais bien comme ci-devant officier : tout sabotage, peine de mort. Essaie de fuir devant Julius, je vais te l’envoyer. Je lui parlerai. Il a peur des coups, et lui, je te jure qu’il tirera. – Il passa un bras autour de l’épaule de Berner. – Mais moi, je ne peux pas ; comprends-le. Je suis un cochon mais pas autant que Julius. Lui, c’est un fumier de premier ordre. Il a un jour dénoncé un paysan qui avait une petite fille. Maintenant il faut que je m’en aille, copain, mais s’il y a quelque chose, alors sonne. Le Vieux viendra bavarder avec toi. Il le fait bien mieux que moi. – Son visage s’éclaira soudain. – Sais-tu ? Peut-être que toutes ces histoires sur le Paradis ne sont pas des mensonges ? Peut-être que demain à 5 h 5 tu te sentiras beaucoup mieux que tu n’as jamais rêvé de l’être ?
Berner pleurait silencieusement, la tête dans ses bras.
– Il y a sûrement du vrai dans toutes les histoires sur Jésus. Un prêtre m’a dit un jour qu’on était beaucoup plus content une fois mort. Le pire, c’est la mort lente, et toi tu en auras une instantanée, je te le promets. Heide et le blédard sont des tireurs d’élite, et quand tu t’en iras vers Jésus, tu ne t’en apercevras pas. Mais maintenant je m’en vais, camarade. – Il jeta sur la table un paquet de cigarettes et une boîte d’allumettes qui pouvaient lui coûter six mois d’arrêts de rigueur aux fers. Punition officiellement supprimée mais qui était toujours en vigueur dans les régiments disciplinaires. – Il y a deux
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