Ben-Hur
midi, et oubliant la faim, la soif et la mort qui les menaçait, elles tombèrent à genoux et pleurèrent. Cette fois elles n’eurent pas longtemps à attendre, le tribun n’avait pas perdu du temps.
– Où êtes-vous ? cria-t-il dès qu’il fut arrivé près de la trappe.
– Ici ! répondit la mère en se levant.
Aussitôt elle entendit du bruit partir d’un autre point de la muraille. Le bruit de coups frappés contre les pierres avec de lourds instruments de fer. Elle ne parlait pas, mais elle écoutait, ainsi que Tirzah ; elles comprenaient toutes deux que l’on travaillait à frayer pour elles le chemin de la liberté. Ainsi écoutent les mineurs ensevelis dans les mines profondes, lorsqu’ils entendent l’écho répercuter le bruit des piques, les yeux fixés sur l’endroit d’où ils s’attendent à voir venir le jour.
Les bras de ceux qui travaillaient étaient vigoureux, leurs mains habiles, la meilleure volonté les animait. D’instant en instant les coups devenaient plus distincts, de temps à autre on entendait tomber une pierre ; la libération approchait. Elles commençaient à comprendre ce que les travailleurs disaient et puis, ô bonheur ! à travers un interstice elles virent briller la lumière rouge des torches.
– C’est lui, mère, c’est lui ! Il nous a trouvées, enfin ! s’écria Tirzah, emportée par l’impétuosité de son imagination.
Mais la mère répondit humblement :
– Dieu est bon !
Un bloc de pierre tomba dans l’intérieur de la cellule, suivi de toute une avalanche de débris et la porte s’ouvrit. Un homme couvert de mortier parut sur le seuil et s’y arrêta, en élevant une torche au-dessus de sa tête ; mais il se rangea de côté pour laisser passer le tribun le premier.
Le respect dû aux femmes n’est pas purement conventionnel, il est un hommage rendu à la délicatesse de leur nature. Le tribun s’arrêta en les voyant s’enfuir loin de lui, poussées non par la crainte, mais par la honte et aussi, hélas ! par quelque chose d’autre, et il entendit retentir dans le coin obscur où elles s’étaient réfugiées ces paroles, les plus tristes, les plus désespérées que puissent prononcer des lèvres humaines :
– Ne nous approche pas, – nous sommes des souillées, des souillées !
À la lueur vacillante de leurs torches, tous ces hommes se regardaient avec effroi.
– Souillées, souillées ! répéta encore comme un écho la même voix, avec un accent d’une tristesse déchirante. Ce cri ressemblait à celui d’un esprit s’enfuyant loin des portes du paradis, en jetant derrière lui un regard d’amer regret.
Et la pauvre veuve, au moment où elle accomplissait ainsi son devoir, réalisa tout à coup une chose terrible : c’est que cette liberté qu’elle avait demandée dans ses prières, dont elle avait rêvé, qui de loin lui apparaissait si radieuse, n’était qu’une dérision, comme ces fruits de la mer Morte, si beaux en apparence et qui tombent en poussière dans la main qui vient de les cueillir.
Hélas ! Tirzah et elle étaient lépreuses.
Ah ! qui dira ce que ce mot signifie !
« Quatre sortes de personnes peuvent être considérées comme mortes, dit le Talmud : les aveugles, les lépreux, les pauvres et ceux qui sont sans enfants. »
Être lépreux, cela revenait à être traité comme une personne morte, à être exclu des villes comme un cadavre, à ne plus pouvoir parler à ceux que l’on aimait le mieux, autrement qu’à distance, à ne demeurer qu’avec les lépreux. Être lépreux, c’était être privé de tous ses privilèges, perdre le droit de participer aux rites du culte ; n’avoir plus celui de porter autre chose que des vêtements déchirés ; c’était être condamné à se couvrir jusqu’à la lèvre de dessus et de crier toujours : « souillé, souillé. » Être lépreux, enfin, c’était à ne plus avoir d’autre demeure que les déserts et les tombeaux abandonnés et ressembler à des spectres matérialisés ; c’était devenir une vivante offense pour les autres, un tourment pour soi-même ; c’était craindre la mort et n’avoir, cependant, plus rien d’autre à espérer.
Un jour, – elle n’aurait su dire à quelle date ni en quelle année, car elle avait perdu la notion du temps dans l’enfer qu’elle habitait, – la mère s’était aperçue qu’elle avait sur la paume
Weitere Kostenlose Bücher