Ben-Hur
de ceux qui étaient trop éloignés pour s’apercevoir de ce qui se passait. Il se trouvait cependant dans cette multitude quelques personnes qui comprenaient à demi, pour l’avoir vu de près pendant longtemps, la nature de celui auquel ces infortunées faisaient appel et qui avaient appris à connaître ses divines compassions ; celles-là le regardaient en silence, tandis qu’il s’avançait devant cette femme. Elle leva les yeux et contempla son visage calme, plein de miséricorde et d’une beauté surnaturelle.
– Maître, ô maître ! Tu vois notre misère, tu peux nous rendre nettes, aie pitié de nous, pitié !
– Crois-tu que je puisse faire cela ? lui demanda-t-il.
– Tu es celui dont les prophètes ont parlé, tu es le Messie, répondit-elle.
– Femme, ta foi est grande, qu’il te soit fait selon que tu désires.
Il resta encore un moment silencieux et comme inconscient de la présence de la foule, puis fit avancer sa monture et reprit le milieu du chemin. Aussitôt les rangs de la multitude se reformèrent autour de lui, les palmes se balancèrent au-dessus de sa tête, les hosannas retentirent de nouveau ; l’instant d’après il disparaissait aux yeux des lépreuses. La veuve se couvrit la tête de son voile et se précipita vers Tirzah, qu’elle prit dans ses bras en criant :
– Lève les yeux, Tirzah ! J’ai sa promesse ; il est vraiment le Messie et nous sommes sauvées, sauvées !
Elles restèrent à genoux, suivant des yeux la procession jusqu’à ce qu’elles l’eurent vue disparaître au sommet de la montagne. Lorsque le bruit des chants ne leur parvint plus que comme un écho lointain, le miracle commença à se produire. Leur sang coulait plus vite dans leurs veines, il semblait qu’une vie nouvelle se communiquait à elles ; elles éprouvaient un sentiment infiniment doux et sentaient leurs forces renaître. Peu à peu l’horrible maladie les quittait, elles redevenaient elles-mêmes et leur esprit se ranimait, en même temps que leur corps.
Amrah n’était pas le seul témoin de cette transformation : Ben-Hur, qui se trouvait au nombre de ceux qui accompagnaient le Nazaréen, avait vu la femme atteinte de la lèpre apparaître au milieu de la procession. Il avait entendu sa prière et contemplait son visage défiguré ; il avait aussi compris la réponse qu’elle avait reçue, et comme il n’était pas encore assez familiarisé avec des scènes de ce genre pour ne plus s’y intéresser vivement, il s’était assis au bord du chemin pour assister à l’accomplissement du miracle, avant de s’en aller rejoindre celui qui – il l’espérait fermement – aurait proclamé, avant la nuit, la nature de la mission pour laquelle il était venu sur la terre.
De sa place il échangeait des saluts avec un bon nombre de ceux dont se composait la procession, qui défilait toujours le long du chemin, des Galiléens affiliés à sa ligue et portant de courtes épées sous leurs longs manteaux. Tout à la fin du cortège marchait un Arabe au teint basané, conduisant deux chevaux en laisse ; sur un signe de Ben-Hur il s’arrêta.
– Reste ici, lui dit son jeune maître. Je désire être de bonne heure à la ville et j’aurai besoin d’Aldébaran.
Il caressa la tête du bel animal, maintenant en pleine possession de toute sa force, puis il traversa la route, afin de s’approcher des deux femmes. Elles étaient pour lui des étrangères auxquelles il ne s’intéressait que parce qu’il se passait en elles un fait qui l’aiderait, peut-être, à trouver la solution du mystère dont il se préoccupait depuis si longtemps. Tout à coup il jeta par hasard un regard sur la petite femme qui se tenait debout devant le rocher, le visage caché dans ses mains. « Aussi vrai que l’Éternel est vivant, c’est Amrah ! » se dit-il. Il s’élança en avant, passa à côté de sa mère sans la reconnaître et s’arrêta devant la vieille servante.
– Amrah ! lui dit-il, que fais-tu ici ?
Elle se laissa tomber à ses pieds, à demi aveuglée par les larmes, mais tellement transportée de joie qu’à peine pouvait-elle parler.
– Ô maître, maître ! Ton Dieu, qui est aussi le mien, comme il est bon !
Une intuition soudaine lui fit tourner la tête vers la femme qu’il avait vue devant le Nazaréen. Son cœur cessa de battre, il resta immobile, comme s’il eût été rivé au sol ; il
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