Ben-Hur
septième année, suivant la loi de Moïse, je devins libre.
– Oh ! tu n’es donc pas le serviteur de son père ! s’écria Esther, en joignant les mains.
– Écoute-moi jusqu’au bout, ma fille, tu sauras tout. Il y avait alors des docteurs qui prétendaient que les enfants des esclaves participaient au sort de leurs parents, mais le prince Hur était un homme juste, qui s’en tenait à l’esprit de la loi. Il déclara que j’étais un serviteur hébreu, acheté, selon le sens que le grand législateur donnait à ce mot, et par un écrit scellé, que je possède encore, il me donna la liberté.
– Et ma mère ? demanda Esther.
– Un peu de patience, ma fille, et tu sauras tout. Avant que je sois arrivé à la fin de mon récit tu auras compris qu’il me serait plus aisé de m’oublier moi-même que de l’oublier, elle. À la fin de mon temps de servitude, je me rendis à Jérusalem pour célébrer la Pâque. Mon maître me reçut chez lui. Déjà alors je lui avais voué une affection sans bornes et je le priai de me permettre de demeurer à son service. Il y consentit et je le servis encore, durant sept ans, mais en recevant le prix de mon travail. Il me confia le soin de diriger des expéditions hasardeuses, sur mer et sur terre, jusqu’à Suse et Persépolis. Ce n’était pas une tâche exempte de périls, mais l’Éternel était avec moi, il faisait prospérer tout ce que j’entreprenais. Je rapportais de ces voyages de grandes richesses pour le prince, et pour moi des connaissances sans lesquelles il m’eût été impossible de mener à bien toutes les affaires qui m’ont incombé dès lors… Un jour j’étais son hôte, dans son palais de Jérusalem ; une servante entra, portant quelques tranches de pain sur un plateau. Elle se dirigea tout d’abord vers moi. Ce fut ainsi que je vis ta mère pour la première fois. Je l’aimai et j’emportai cet amour dans mon cœur. Quelque temps après je priai le prince de me la donner pour femme. Il m’apprit qu’elle était esclave mais que, si elle le désirait, il la libérerait, afin que ma demande pût m’être accordée. Elle me rendait amour pour amour, mais elle était heureuse dans sa condition et refusa la liberté. Je l’implorai et la suppliai, je revins souvent à la charge ; elle me répondait toujours qu’elle serait ma femme, si je consentais à partager sa servitude. Notre père Jacob servit sept ans pour sa Rachel, pouvais-je en faire moins pour la mienne ? Ta mère exigeait que je devinsse esclave comme elle. Je m’en allai, puis je revins. Regarde, Esther, regarde ici. Il découvrait le lobe de son oreille gauche.
– Ne vois-tu pas la cicatrice qui montre encore où le poinçon a passé ?
– Je la vois, dit-elle, et je comprends maintenant combien tu as aimé ma mère.
– Si je l’ai aimée, Esther ! Elle était pour moi plus que la Sulamite pour le roi poète, plus belle, plus immaculée, une fontaine murmurante, une source d’eau pure, un fleuve du Liban. Le maître, à ma requête, me conduisit devant les juges, puis il me ramena chez lui et me perça l’oreille contre sa porte, avec un poinçon ; ainsi je devins son esclave à perpétuité. Voilà comment je gagnai ma Rachel. Jamais amour fut-il pareil au mien ?
Esther se pencha vers lui pour l’embrasser, et pendant un moment ils restèrent silencieux, tous les deux, pensant à la morte.
– Mon maître périt dans un naufrage, ce fut le premier chagrin de ma vie. On mena grand deuil dans sa maison et dans la mienne, ici, à Antioche, où je résidais alors. Quand le bon prince mourut, j’étais son intendant en chef ; tout ce qu’il possédait était placé sous mes soins et sous mon contrôle. Tu peux juger, par cela, de l’étendue de sa confiance et de son attachement. Je partis en hâte pour Jérusalem, afin de rendre mes comptes à sa veuve. Elle me confirma dans ma charge, et je m’appliquai à la remplir plus fidèlement encore que par le passé. Les affaires prospéraient, elles augmentaient toujours. Dix années passèrent ainsi, au bout desquelles survint la catastrophe que tu as entendu raconter à ce jeune homme, l’accident, comme il l’appelait, arrivé au gouverneur Gratien. Le gouverneur prétendit qu’il avait voulu l’assassiner. Sous ce prétexte, et avec la permission de Rome, il confisqua à son profit les biens de la veuve et de ses enfants. Non content de cela, et pour éviter que
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