Ben-Hur
famille de mon maître, s’ils sont vivants, aux cruautés exercées envers eux, s’ils sont morts, et dis-moi s’il serait juste qu’il ne tombât pas un cheveu, qu’il ne coulât pas une goutte de sang pour expier tant d’horreurs ? Ne me dis pas, comme les prédicateurs le répètent, que la vengeance appartient au Seigneur. Ne se sert-il pas d’intermédiaires pour accomplir ses desseins ? N’a-t-il pas eu, à son service, des hommes de guerre, en plus grand nombre que des prophètes ? La loi qui dit : Œil pour œil, dent pour dent, ne vient-elle pas de Lui ? Oh ! durant toutes ces années, la vengeance a été mon rêve, l’objet de mes préparatifs et de mes prières et j’ai attendu, patiemment, le jour où ma fortune croissante me permettrait de punir mes persécuteurs. Quand ce jeune homme parlait de son habileté dans le métier des armes et du but caché qu’il poursuit, je devinai aussitôt que, lui aussi, vivait en vue de la revanche. C’est là, Esther, la troisième raison qui me fit demeurer impassible devant lui et rire à son départ.
– Il est parti, – reviendra-t-il ? demanda Esther d’un air rêveur.
– Mon fidèle Malluch est avec lui. Il le ramènera quand je serai prêt à le recevoir.
CHAPITRE XVII
Ben-Hur avait quitté l’entrepôt avec l’amer sentiment de l’effondrement de sa dernière espérance. La pensée de son complet isolement s’emparait de lui d’une façon poignante ; il lui semblait qu’il ne valait plus la peine de vivre. Il s’arrêta au bord de la rivière ; elle coulait lentement, comme si elle s’arrêtait pour l’attendre, et ses profondeurs sombres l’attiraient presque invinciblement. Tout à coup, comme pour l’arracher à cette attraction, les paroles de son compagnon de voyage lui revinrent à la mémoire : « Mieux vaudrait être un ver et se nourrir des mûriers de Daphné que de s’asseoir à la table d’un roi ». Il se détourna et reprit d’un pas rapide le chemin de son hôtellerie.
– Tu demandes le chemin qui conduit à Daphné ? s’écria l’intendant, étonné de la question que lui posait Ben-Hur. Tu n’y as donc jamais été ? Alors regarde ce jour comme le plus heureux de ta vie. Tu ne peux te tromper de chemin. Prends la première rue à ta gauche et suis-la jusqu’à l’avenue connue sous le nom de colonnade d’Hérode ; là, tourne à gauche et va jusqu’au portique de bronze du temple d’Épiphane. C’est là que commence la route qui mène à Daphné. Que les dieux soient avec toi !
Après avoir donné à l’intendant quelques ordres au sujet de ses bagages, Ben-Hur s’éloigna. Il lui fut aisé de gagner la colonnade d’Hérode. C’était à peu près la quatrième heure du jour, et quand il eut passé sous les portes de bronze, il se trouva mêlé à ceux qui se rendaient aux fameux bosquets. La route était divisée en trois parties, séparées par des balustrades ornées de statues. Des deux côtés, des groupes de chênes ou de sycomores et des pavillons de verdure invitaient les passants au repos. La partie de la route réservée aux piétons était pavée en pierres rouges ; un fin sable blanc, soigneusement roulé, recouvrait celle des chariots. Le nombre et la variété des fontaines placées sur le bord du chemin était incroyable ; on les nommait du nom des rois qui les avaient fait élever en souvenir, de leurs visites à Daphné. Cette allée splendide s’étendait, à partir de la ville, sur une étendue de plusieurs kilomètres, mais Ben-Hur avait à peine un regard pour sa royale magnificence et n’accordait pas beaucoup plus d’attention à ses compagnons de route.
Les pensées qui l’absorbaient n’étaient pas l’unique cause de son indifférence ; elle provenait aussi de ce que, comme tous les Romains fraîchement débarqués en province, il croyait fermement que, nulle part, on ne pouvait voir des cérémonies supérieures à celles qui se célébraient, journellement, autour du poteau d’or élevé par l’empereur Auguste, lequel marquait le centre du monde. Pourtant, lorsqu’il atteignit Heraclia, village de banlieue, situé à mi-chemin entre la ville et les bocages célèbres, l’exercice avait un peu dissipé son humeur sombre et il commençait à se sentir disposé à s’amuser.
Une paire de béliers, conduits par une femme superbe, et comme elle ornés de rubans et de fleurs, attira d’abord son
Weitere Kostenlose Bücher