Berlin 36
n’en soyez pas capable. Ce sera pour l’année prochaine !
— Mais…
— Il n’y a pas de mais. Votre santé passe avant tout !
Jesse Owens sentit les larmes lui monter aux yeux.
*
Au moment où l’équipe d’athlétisme de l’université de l’Ohio grimpait dans le car, Jesse Owens arriva en claudiquant, son sac de sport en bandoulière. Larry Snyder était là, cravaté, vêtu d’un pantalon clair et d’une chemise blanche aux manches retroussées, ses cheveux ondulés bien coiffés comme s’il allait à l’office du dimanche.
— Qu’est-ce que tu fous là ? s’exclama-t-il en fronçant les sourcils. Le médecin t’a recommandé de rester au lit !
— Oui, mais j’ai pris un bain bouillant et je me sens mieux, coach. J’ai décidé d’accompagner les copains au Big Ten, histoire de les encourager.
L’entraîneur fronça les sourcils.
— Et pourquoi emportes-tu ton sac de sport ?
— On ne sait jamais ! fit Jesse en haussant les épaules.
Le stade d’Ann Arbor, dans le Michigan, n’avait rien à voir avec les grandes arènes olympiques : une piste ceinturant un modeste terrain de football américain dans un environnement d’usines. A l’occasion du Big Ten, ce 25 mai 1935, il était bondé : étudiants, parents et professeurs étaient venus des quatre coins du pays pour encourager les jeunes athlètes. Les coureurs de l’université de l’Ohio se rassemblèrent dans les vestiaires pour écouter les dernières consignes de leur entraîneur.
— Hey, guys , aidez-moi ! s’écria Jesse Owens en grimaçant de douleur.
Sourd aux conseils de son coach , le jeune homme essayait d’enfiler son short et le maillot mauve à bretelles orné du mot « OHIO ». Ses camarades s’empressèrent de l’aider.
— Tu comptes vraiment courir ? lui demanda Larry Snyder. Tu vas te faire mal et te ridiculiser par la même occasion.
— Laissez-moi essayer, coach, je me sens vraiment mieux !
— Mais tu arrives à peine à mettre ton short, comment espères-tu courir ?
— Quand je cours, coach , j’oublie ma douleur, répliqua Jesse en souriant.
La compétition commença à 15 h 15. Les coureurs des dix universités en lice se dirigèrent vers la ligne de départ.
— Runners, on your marks ! hurla le starter.
Jesse Owens prit position, s’accroupit et serra les dents.
— Get set !
Au coup de feu, il jaillit de ses marques et, malgré sa douleur dorsale, parcourut le 100 yards 1 comme une flèche et coupa le fil qui s’enroula autour de sa poitrine.
— 9 secondes 4/10, annonça le premier juge, l’oeil sur son chronomètre.
— Record du monde égalé ! s’exclama le second, l’air éberlué.
Larry Snyder quitta son siège et se rua sur son poulain.
— Record du monde, Jesse, record du monde égalé, tu te rends compte ?
Jesse Owens demeura hébété, ne sachant pas trop ce qui lui arrivait.
— Oui, c’est bien, n’est-ce pas ?
— C’est magnifique ! Te sens-tu encore capable de courir le 220 yards 2 ?
— No problem . Je me sens en pleine forme.
— Alors, vas-y mon gars ! fit Larry Snyder en lui donnant une tape dans le dos.
Jesse Owens se dirigea vers la ligne de départ du 220 yards. En chemin, il remarqua que les essais du saut en longueur avaient commencé.
— Je peux tenter ma chance ? demanda-t-il au juge.
— Si tu veux, mais dépêche-toi pour ne pas rater le 220 yards.
Jesse Owens prit ses marques, puis alla placer un bout de papier maintenu par une pierre à un point précis de la fosse.
— Qu’est-ce que c’est ? lui demanda le juge.
— L’emplacement du record du monde du Japonais Chuhei Nambu : 7,98 mètres, répondit-il en souriant. Rien de tel pour me stimuler !
A 15 h 25, Jesse Owens se mit en position sur la piste d’élan, le dos légèrement voûté, puis s’élança à grandes enjambées, bondit à l’approche de la planche d’appel et s’envola. Il plana, fit un ciseau en l’air avec un ramené de jambe et atterrit dans la fosse de réception. Ses chaussures s’enfoncèrent profondément dans le sable ; il boula en avant. Au moment de se relever, il jeta un regard en direction de son repère : le papier était derrière lui !
— 8,13 mètres, nouveau record du monde ! annonça le juge en tendant le ruban métallique.
Le public se leva, incrédule : c’était la première fois dans l’histoire de l’athlétisme qu’un homme
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