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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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Husain n’a décelé ni regrets ni réprobation sur les visages qu’il observait. Quand ce fut terminé, l’un d’eux s’approcha du cadavre avec un revolver enveloppé d’un mouchoir, le plaça dans la main du mort en positionnant l’index sur la détente et appuya dessus à deux reprises. Les passants qui un peu plus tôt traînaient dans les environs s’étaient égayés dans la nature en entendant les coups de feu. Les policiers attendirent quarante-cinq minutes montre en main, histoire de s’assurer qu’il n’y avait plus le moindre signe de vie, après quoi ils emmenèrent le corps à l’hôpital. « Cette nuit-là je n’ai pas réussi à dormir avant trois heures du matin et je n’ai rien pu avaler pendant trois jours, me dit Husain. Je venais de voir quelqu’un se traîner par terre pour avoir la vie sauve, j’avais vu le sang gicler de sa tête. » Cette scène a porté un rude coup à ses rapports avec la police. « Je hais les flics et tout particulièrement ceux de Bombay. Il n’y a pas pire qu’eux. » Husain est probablement le meilleur chroniqueur judiciaire de Bombay, il travaille pour un grand journal et pourtant il n’a pas écrit une ligne sur cet incident. Maintenant qu’il sait combien les articles de presse consacrés aux rencontres sont loin de la réalité, il se compare à un vulgaire greffier. « Nous sommes les munshis {108} de la police », reconnaît-il avec amertume.
    Les policiers, les journalistes, les magistrats entretiennent la fiction de ces rencontres fortuites qui se concluent sur une mort accidentelle. Ils connaissent tous le scénario par cœur – les voyous ont tiré les premiers, les policiers étaient en légitime défense – et ne se donnent pas la peine d’aller chercher plus loin, de même que les spectateurs ne cherchent pas à comprendre la logique aléatoire des films hindis. S’il faut en croire les articles de presse consacrés aux rencontres, les dangereux criminels sont décidément de bien mauvais tireurs. Alors que les policiers, eux, font mouche à tous les coups.
    Aux États-Unis, on parle de « mince rempart bleu » pour désigner les flics (en uniforme bleu) censés séparer la société – les hommes et les femmes ordinaires qui ont un travail et qui tous les soirs rentrent dormir chez eux pour repartir au bureau le lendemain matin – des méchants, des salauds qui, tapis dans une encoignure, matent les appartements bien éclairés des gens comme il faut. À Bombay, le mince rempart est de couleur kaki mais personne ne sait très bien ni qui il protège ni de quoi. Il est inégal et plein de brèches, épais et solide par endroits, si rongé et effrité à d’autres qu’il en devient inexistant. Or, ils sont constamment à l’affût de la moindre fissure, ils guettent la fente entre laquelle se glisser comme des loutres dans un trou d’eau, à la faveur de la nuit.
    L’opinion s’accoutume à la violence, la tolère de mieux en mieux. En octobre 1998, la police de Mumbai a créé en son sein six équipes spéciales « ayant exclusivement pour tâche d’abattre des gangsters », ainsi que l’a expliqué Husain aux lecteurs de son journal. Avant la formation de ces équipes, en neuf mois dix personnes avaient trouvé la mort lors d’une rencontre avec la police. Dans les cinq mois qui ont suivi, cinquante-trois malfaiteurs périrent sous les balles des policiers au cours de quarante-trois rencontres. Salaskar dirigeait un de ces escadrons de la mort ; Ajay en commandait un autre. Leurs équipes avaient un rayon d’action illimité ; n’étant pas rattachées à une juridiction, elles pouvaient écumer la ville et choisir leurs cibles à leur convenance. Chacune de ces rencontres mortelles fut officiellement portée au crédit du commissariat le plus proche. Mais tout cela n’a jamais fait la une du quotidien dans lequel travaille Husain ; son reportage exclusif n’a pas été suivi d’autres articles, les lecteurs n’ont pas été indignés d’apprendre que les policiers se transformaient en justiciers.
    Ceux qui vivent sous une chape de peur sont prêts à accorder des pouvoirs illimités aux représentants de l’autorité. « Qu’en est-il des droits fondamentaux des patrons innocents assassinés par des criminels ? » s’indigne un homme d’affaires lors d’une réunion publique à laquelle assistent en foule des commerçants et des fonctionnaires venus parler ensemble de la banalisation des

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