Bombay, Maximum City
il réfléchit et finit par lâcher : « Des rencontres mortelles… vingt. » Interrogé sur le type d’arme qu’il utilise, il ouvre un placard, en sort une pochette en cuir noir, ouvre la fermeture Éclair et me remet l’objet : un revolver à barillet, crosse marron et canon d’acier, identifié par le logo Titan Tiger avec dessous l’indication du calibre, 38 millimètres, et le lieu de fabrication, Miami, Floride. L’effigie d’un dieu nordique barbu est gravée sur la crosse. On dirait un accessoire du cinéma hollywoodien des années cinquante. Les yeux baissés sur le canon, je pose à Salaskar ma sempiternelle question : est-ce qu’il lui arrive parfois de se sentir mal, après une rencontre, à l’idée d’avoir tué un être humain ?
« Ils ne sont pas humains, répond-il sans l’ombre d’une hésitation. Ce sont des animaux. Des déchets. »
Autrement dit, pour tuer un de ses semblables il suffit de lui refuser le statut d’humain, de le déclasser en le rangeant dans une catégorie inférieure.
Husain lui demande s’il ne court aucun danger, lors des rencontres. Aucun, affirme Salaskar. L’astuce consiste à descendre la cible « sans attendre la riposte ». Pour ce faire, ses hommes et lui s’en approchent au plus près. Il reconnaît d’ailleurs volontiers qu’il n’est pas un tireur d’élite, mais ce n’est pas gênant puisqu’il n’intervient jamais à plus de sept à huit mètres de distance.
À propos de la rencontre qui vient de lui valoir un acquittement, le juge Aguiar notait dans son rapport :
Il est très étonnant qu’alors que Sada Pawale avait sur lui une arme sophistiquée, en l’occurrence un AK-56 d’une portée de 300 mètres, capable de tirer 600 balles à la minute, ni l’inspecteur adjoint Salaskar ni aucun des policiers présents n’aient été blessés. […] Les officiers de police sont vraiment bénis des dieux.
Jamais les gangs ne s’en prendraient aux forces de l’ordre, pas même à un agent, nous affirme Salaskar. « Ce que l’on voit dans Satya n’arrive qu’au cinéma », poursuit-il en se référant à un film policier dans lequel un commissaire est abattu par la pègre. Lui-même ne s’estime pas particulièrement menacé. « Je suis juste. Je sais où trouver les familles des criminels mais je ne m’attaque pas aux innocents. »
Répondant à une question de Husain, il nous dit avoir une petite fille de dix ans. Rêve-t-il qu’elle entre un jour dans la police ? Non, fait-il en secouant la tête.
Pendant cette conversation, le défilé des flatteurs venus lui serrer la main continue. Les hurlements dans la pièce d’à-côté aussi. En dehors de ces cris déchirants, on n’entend rien, pas un mot de la part des tortionnaires. Puis je saisis une série de coups mats, comme si on frappait une surface molle avec un battoir. Moi excepté, personne ne semble remarquer quoi que ce soit. Un inspecteur s’exclame que toute l’équipe présente pour la rencontre avec Pawale doit aller fêter le jugement. Salaskar est libre de reprendre ses activités. Son Titan Tiger fauchera bientôt une vingt et unième vie.
« Où est le cran de sûreté ? s’enquiert Husain en inspectant l’arme sous toutes les coutures.
— Il n’y a pas de cran de sûreté. »
En sortant, Husain me confiera avoir vu de ses yeux un policier abattre un homme qui l’implorait de lui laisser la vie sauve. « Ils appellent ça des rencontres mais ce sont des meurtres commis de sang-froid, oui. » Les flics qui l’avaient amené sur les lieux à l’avance lui avaient recommandé de rester tranquillement dans son coin et de ne surtout pas bouger : il aurait pu se prendre une balle. « Chutiapanthi {107} », peste-t-il : rien que des conneries.
Il me décrit la scène à laquelle il a assisté. À onze heures et demie du soir, six policiers sont arrivés dans deux taxis. Le type savait comment ça allait finir. Il les a suppliés en rampant : « J’ai des enfants, ne me tuez pas, s’il vous plaît Je ferai tout ce que vous voudrez, je vous servirai d’indic, tout ce que vous voulez. » Pendant qu’il s’adressait ainsi à eux, les policiers se mirent à tirer selon des angles différents et sans tous le viser, conformément aux consignes qu’ils avaient reçues. Le plan prévoyait que la victime devait recevoir entre six et sept balles. Tout en actionnant leurs armes, ils l’injuriaient copieusement, mais
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