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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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ses tarifs et ses taux. L’économie « parallèle » colle à l’économie officielle ; elle est partout présente et pas si difficile à détecter. Qui en maîtrise les codes se simplifie considérablement la vie. Si vous avez un enfant en âge scolaire, mieux vaut connaître le montant du « don » que vous devrez verser pour l’inscrire à l’école. Si vous provoquez un accident de la route, mieux vaut également savoir combien les flics peuvent exiger pour étouffer l’affaire, et combien il faut donner au père du gosse que vous venez d’écraser pour ne pas vous faire lyncher par la foule. Si vous louez votre logement, mieux vaut savoir quelle somme le propriétaire est prêt à vous proposer pour que vous vidiez les lieux. L’économie parallèle se nourrit du dépérissement de la justice. Le système judiciaire indien, legs suprême de l’occupant britannique, tombe en loques tant il a été malmené par les gouvernements successifs qui se méfiaient de son pouvoir. C’est un juge de la Haute Cour d’Allahabad qui, en 1975, a annulé l’élection remportée par Indira Gandhi ; laquelle a réagi en invoquant la Constitution pour imposer l’état d’urgence. C’est également un juge qui a enfin eu le courage de dénoncer la main de Bal Thackeray derrière les émeutes de 1992. Seulement les politiciens sont puissants, eux aussi. Assez pour couper les vivres aux magistrats, ne pas pourvoir les postes qui se libèrent dans les cours de justice. L’économie parallèle a donc tout pour réussir, prospérer et engraisser, car les humains sont ainsi faits qu’ils ont besoin d’un système d’échange pour troquer leur force de travail contre des services et des biens matériels.
    « C’est une ville parfaite pour le gengwar », observe Mama. À la manière d’une zone de basses pressions atmosphériques, la pègre infiltre tous les espaces abandonnés par la puissance publique : la justice, la protection des personnes, les transferts de capitaux. Les truands se considèrent comme des travailleurs à part entière : « Il y a les cols bleus, les cols blancs et nous, les cols noirs », expliquait Chotta Shakeel à un ami journaliste.
    Ajay et moi avons une amie commune, la réalisatrice de cinéma Tanuja Chandra. Ajay vient de s’envoler pour l’Angleterre où il passe ses vacances quand elle m’appelle au téléphone. Son producteur, Mahesh Bhatt, un type en qui elle a toute confiance, a appris d’un policier haut placé que le Bureau central d’investigation avait mis la ligne d’Ajay sur écoute parce qu’on le soupçonne de toucher de l’argent de la mafia. Très troublée, Tanuja voudrait avoir mon sentiment. Ajay mène effectivement un train de vie sans commune mesure avec son salaire, qu’on pense à ses voyages à l’étranger, aux appareils qui équipent sa maison, à sa montre Guy Laroche. Mahesh me confie l’avoir trouvé très nerveux, ces derniers temps, mais il n’a pas envie d’en parler au téléphone. « Qui sait ce qui motive les gens ? » Le policier lui a dit un jour qu’au besoin il pouvait intervenir pour lui auprès des chefs de gang et les amener « à rendre service en échange d’une faveur ».
    Dès que je revois Ajay j’aborde directement le sujet avec lui. « En dix-huit ans de carrière je n’ai jamais accepté un verre d’eau de qui que ce soit », déclare-t-il. Il a fait ses choix il y a longtemps, et il s’y tient. « À la longue, ça paye de garder les mains propres. » Son argent provient de vieux amis de fac qui, selon ses propres termes, « ont fait des placements judicieux pour son compte ». Seulement il n’a pas que des amis, au sein de la police. Des bruits courent sur son compte. « En dehors de Ritu, de ma mère et de ma sœur, je ne peux vraiment me fier à personne. » Ajay vient de sortir blanchi d’une enquête interne lancée contre lui il y a quatre ans, sur des allégations de corruption. Ritu a dû justifier toutes ses dépenses à la roupie près, expliquer d’où venait l’argent qui lui a servi à acheter sa machine à laver. Les charges qui pesaient contre Ajay ont toutes été levées.
    Comme le commissaire Forjett cent ans avant lui, Ajay en a donc gros sur le cœur. Ce fils de bonne famille qui a choisi un métier auquel il se consacre corps et âme constate avec amertume qu’il n’a aucune récompense à attendre pour son sacrifice.
    « Ce matin, en allant au bureau, j’ai vu un

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