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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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m’inventais ma police de caractères à moi, un code que j’étais le seul à pouvoir déchiffrer. Pris de migraine, mes profs en distribuaient des échantillons à tout va afin de montrer comme la vie des enseignants est ingrate. Ce que je couchais noir sur blanc ressemblait, non à des suites de mots, mais à de l’art moderne ou à une colonie de fourmis qui aurait envahi la page. Un prof qui m’aimait bien me déclara un jour que « Gandhiji aussi écrivait très mal ». Cette observation dont je tirais une vraie consolation m’entraîna dans une quête des reproductions des gribouillages du Mahatma, et je finis par me convaincre, non seulement que mes pattes de mouche trouveraient leur compensation dans la gloire que j’atteindrais à l’âge adulte, mais qu’elles en étaient aussi la condition préalable. Mon professeur d’anglais ne partageait pas cette théorie ; il refusa de lire ma dissertation de fin d’année et je fus collé dans cette matière censée être mon point fort. Excédé, mon père engagea alors un précepteur chargé de m’apprendre à écrire correctement.
    Ce petit moustachu effacé, affublé de grosses lunettes noires, enseignait le dessin dans une école gujeratie. C’était également, ainsi que je le découvris dès la première leçon, un communiste convaincu. Il annonça d’emblée qu’il allait m’inculquer les principes de base du dessin en vue d’améliorer ma calligraphie. À cette fin, il me demanda de dessiner une poignée de main illustrant l’amitié entre l’Inde et l’Union soviétique. Sous sa gouverne, je dus par la suite transcrire des dithyrambes interminables sur le thème de l’amitié entre les peuples indien et soviétique. Mon diamantaire de père se rendit assez vite compte que ces leçons d’écriture ne donnaient pas les résultats attendus. Tandis que dans la journée il cherchait par tous les moyens à grossir son capital en exploitant ses ouvriers, chez lui, sous son toit et à ses frais, son fils unique se faisait endoctriner et devenait incollable sur la lutte des classes. Il se débarrassa promptement du calligraphe communiste. Mon écriture était tout aussi torturée qu’avant mais j’avais élargi mes connaissances sur l’Union soviétique.
    Sur l’estrade, coiffé d’une calotte blanche à la Gandhi, Kanubhaï, le vénérable président du conseil d’administration (il a quatre-vingt-deux ans), doit sans arrêt se lever de son siège pour recevoir les hommages des anciens élèves qui défilent au compte-gouttes. Sitôt qu’un nom est proclamé, son voisin le pousse dans le dos et le vieillard tiré en sursaut du sommeil s’arrache à son fauteuil, fourre entre les mains de l’intéressé le châle remis en cadeau d’adieu, sombre à nouveau avec soulagement dans ses coussins et sa torpeur. Le médecin assis à ma gauche me glisse en aparté : « Je l’ai examiné pas plus tard que la semaine dernière. Son état de santé n’est franchement pas brillant. Je suis assez inquiet » Il serait d’assez mauvais effet que Kanubhaï trépasse le jour de la fête des Enfants ; quoique, vu sous un autre angle, ce serait bien fait
    La cérémonie terminée, nous quittons la scène les yeux rivés vers la sortie. J’ai une envie impérieuse de partir, mais à mon corps défendant je me retrouve parqué avec les autres dans une arrière-salle d’où on ne s’échappe pas comme ça et force m’est donc de rester là, avec femme et enfant, encombré par l’assiette de samosas et de sandwichs qu’on m’a fourrée dans la main. Je suis tendu. Je n’ai pas envie de replonger dans le passé ; pas ici, pas avec ces gens-là.
    « Salut, Suketu ! » lance une voix. Je me retourne et découvre devant moi un petit noiraud au visage disgracieux mais qui pour l’instant n’est que sourires. « Tu ne te souviens pas de moi ? »
    En fait, si. Ça me revient aussitôt : « Urvesh ? »
    Il me tend la main. Je la serre, mais je devrais tomber à genoux et implorer son pardon. Il y a de cela un quart de siècle, je l’ai blessé de la pire manière qui soit et j’en ai honte aujourd’hui encore.
    Dans la bande de Dariya Mahal, Urvesh était un cafard, un faux frère qui n’aimait rien tant que dresser les grands les uns contre les autres et qui y parvenait avec un succès certain. Il allait raconter en catimini des salades à un caïd, servait une autre version à un autre et s’amusait ensuite à compter les

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