Bombay, Maximum City
général, M. Verma, à qui deux filles viennent de remettre une jolie liasse de billets. Il nous enseignait la géométrie avec un accent du Sud impayable – « Quand isse croise igresse… ». La somme posée devant lui est, m’explique-t-il, « destinée à payer le personnel. Les parents contribuent, parce qu’une grande partie de l’argent part à Surendranagar où nous avons une école pour les jeunes filles sans ressources. À part quatre ou cinq professeurs dans mon cas, qui gagnent correctement leur vie grâce aux cours particuliers, le reste du personnel n’est pas payé conformément au barème établi par la Cinquième Commission des salaires. Alors, les parents donnent ce qu’ils peuvent… » Bien qu’il n’aille pas plus loin, je crois deviner la raison de ce long exposé sur les finances de l’école et avance une proposition timide : « Je pourrais peut-être faire un don…
— Vous êtes là, c’est déjà bien suffisant ! répond-il aussitôt. Votre présence est un don en soi. »
Il me fait visiter l’école. Le rez-de-chaussée est maintenant entièrement réservé au corps enseignant et à l’administration, à l’exception d’une pièce où un groupe de filles chante une chanson patriotique, emmené par une enseignante assise en tailleur devant son harmonium. Chaque fois que nous pénétrons dans une classe, les élèves se lèvent avec un bel ensemble et restent debout aussi longtemps que M. Verma ne leur dit pas de s’asseoir. « Je vous présente Suketu Mehta, lance-t-il avec componction. Il est écrivain à temps plein et il a été décoré par le président des États-Unis. » Je rectifie une première fois et, décontenancé, il demande : « Qui vous a remis cette décoration ? » Alors je renonce. Telle une erreur d’ordinateur irréparable, l’origine présidentielle de la récompense restera à jamais accolée à mon nom dans cette école. « C’était, euh… le gouvernement. » La précision sied à M. Verma : « Suketu Mehta a reçu une bourse du gouvernement américain. » Les élèves applaudissent à tout rompre tandis qu’embarrassé je ressors dans le couloir. Cette approbation unanime m’est aussi insupportable que les punitions que mes maîtres m’infligeaient autrefois.
Dans une autre classe, M. Verma encourage les élèves à me poser des questions. « Il a publié plusieurs romans », leur dit-il. Ainsi encouragé, je leur demande s’ils pensent que je pourrais leur apprendre quelque chose. « La géométrie ! La géométrie ! » s’écrient-ils en chœur.
Accédant à mon désir d’assister à un cours d’anglais, M. Verma prend place avec moi au fond de la classe. Le prof guide les élèves à travers les méandres d’un poème tiré du Balbharti, le manuel officiel : « Un adieu » de Tennyson. Deux mots sont écrits au tableau : Somersby {196} et Lincolnshire. La fille assise à côté de moi a son livre ouvert à la page du poème. « Coule, froid ruisselet, vers la mer… » Elle a comblé à l’encre bleue les trous et les espaces des lettres, inscrit « exam final » au-dessus du titre (sa connaissance de ce poème sera évaluée lors de l’examen de fin d’année) et dessiné en face un Smiley jovial. Un ruisseau impétueux illustre la page ; en travers, ma jeune voisine a écrit varsha, rivière, histoire d’indianiser le cours d’eau anglais, de l’apprivoiser pour le rendre moins intimidant.
« Le poète parle à la rivière, explique le prof. C’est une figure de rhétorique qu’on appelle l’apostrophe. » Je l’ignorais. Il faudra que je vérifie dans le dictionnaire, mais c’est bon de savoir que j’ai encore des choses à apprendre à Mayur Mahal. La salle de classe est quasiment identique à celles de mon enfance. Les murs ont toujours besoin d’un coup de peinture, au-dessus du tableau il y a toujours le haut-parleur d’où sortaient tous les matins des chants patriotiques et religieux entrecoupés des avertissements du principal. Un calendrier généreusement offert par les magasins Standard Wines indique les dates que doivent respecter les enfants dont les parents sont de stricte obédience hindoue ou jaïn. Les pupitres en bois balafrés, scarifiés, n’ont pas changé, eux non plus ; ils ont toujours cette petite rigole destinée aux crayons et aux porte-plumes bien que les stylos à bille soient désormais acceptés. Toutes les fenêtres d’une des façades
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