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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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des centaines de mètres le long des berges, des slums. Pendant les deux à trois cents premiers mètres il faut se couvrir le visage à cause de l’odeur. » Toute une colonie s’est installée là, des migrants comme lui. De huit heures du matin à sept heures et demie du soir, l’endroit est désert ; les migrants ne sont pas des mendiants. Il y est allé pour voir comment ces gens survivaient dans de telles conditions, et il a écrit des poèmes sur eux. « Ils se servent de l’eau du fossé pour faire pousser des épinards », me dit-il. Il trouve cela remarquable. Moi aussi.
     
    Babbanji a beau chercher depuis des mois, il ne parvient pas à trouver un travail correct à Bombay. Quantité de raisons le conduisent à refuser les emplois stables. « Je veux être libre. Si j’accepte un vrai travail je serai lié. La poésie, ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire sans voir. Si je ne vois pas Bombay, comment l’écrire ? » Les exigences de son art l’ont donc contraint à quitter l’éventaire du libraire ; à présent il cherche un mi-temps qui lui laisserait le temps d’écrire. Il va et vient selon l’humeur du libraire qui par dépit lui interdit les abords de l’étal aux heures diurnes. Babbanji passe désormais l’essentiel de ses journées sur les marches du perron de la Cour suprême.
    Il a besoin de mes services.
    « Suketuji, commence-t-il humblement, l’argent manque vraiment.
    — Tu as besoin de combien ? fais-je, soudain méfiant.
    — Cent cinquante. »
    Une somme dérisoire – même pas trois euros – mais si je la lui donnais j’influerais directement sur le cours de sa vie, sur le cours de l’histoire. Aussi je lui offre pour cinq cents roupies de bons d’achat au Samovar, le restaurant du musée Jehangir. Il pourra s’offrir quinze bons repas de riz et de curry aux légumes mais je ne lui donnerai pas de liquide. « Je ne veux pas de la pitié », m’a-t-il dit un jour. Babbanji va souvent au musée et il se promène parmi les tableaux. Il a beaucoup aimé l’exposition Sabhavala, bien que je le soupçonne de répéter les propos tenus par ses illustres amis du salon des poètes. Assis en face de lui au Samovar, je le regarde ruser avec son sandwich au fromage. Il s’abstient d’abord de toucher à l’assiette posée devant lui, puis s’attaque au sandwich qu’il mange un quart après l’autre, très lentement. Tant qu’il en reste un peu dans l’assiette les serveurs ne l’obligeront pas à vider les lieux, alors Babbanji met sa faim en balance avec le besoin de rester au frais une partie de l’après-midi. Il se livre à un calcul précis pour déterminer quelle part de sandwich il va se permettre de manger, et à quel rythme.
    Babbanji est tiraillé entre la science et la poésie, entre le Bihar et Bombay. Il a travaillé trois années sur le phénomène de la transformation du plastique en pétrole et les résultats de sa recherche ont été présentés au niveau national. La responsabilité de sa découverte lui pèse. « Si je m’y remettais officiellement, je serais obligé de réintégrer le secteur de la recherche. Or, je veux être poète. La solution, ce serait de confier à mon père le soin de poursuivre. » Il pense d’ailleurs qu’il peut concilier la science et la poésie : « Je deviendrai poète, mais d’une façon ou d’une autre la science aura sa place dans mes poèmes. » Il envisage de retourner au Bihar pour décrocher une bourse en science, et comme je le soupçonne d’avoir envie de rentrer chez lui, il proteste : « Bombay est mon karmabhoomi. Si je meurs, ce sera à Bombay. J’ai oublié ma vie d’avant, à Sitamarhi. »
    À quoi je réponds que ses parents, eux, ne l’ont probablement pas oublié. Sur mes instances, il leur écrit une carte postale :
     
    Cher papa, chère maman,
    Je vous touche les pieds.
    Je vous prie de me pardonner d’avoir brisé vos rêves en venant ici, mais ces rêves brisés je m’efforce de les réparer. J’ai abandonné la science pour entrer en littérature. J’entame ma carrière sur les trottoirs de Bombay, j’essaie de faire passer quelque chose dans mes poèmes.
     
    Au cas où ils le chercheraient, il indique son adresse – Flora Fountain, Churchgate. Ils le trouveront tout de suite, me dit-il. Cette éventualité lui met les larmes aux yeux.
     
    La sonnerie du téléphone me tire du lit un dimanche matin de bonne heure. « Suketuji ! s’exclame

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