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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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faim le tenaillait, car depuis trois jours il n’avait avalé que de l’eau. Il tomba alors sur le gardien d’un magasin tout en marbre qui, remarquant son état, le renvoya dans les quartiers Sud de Bombay, à Horniman Circle, chez quelqu’un qui ne fut d’aucun secours à Babbanji. Il repartit au hasard des rues, passa devant l’étal du libraire Ram Babu Joshi, réussit à se faire engager. « Il vendait ses livres un prix exorbitant à la tête du client » et avait tout le temps l’injure à la bouche. Babbanji qui en avait assez de ses grossièretés ne fut pas malheureux que Joshi le licencie parce qu’il avait été au salon d’écrivains.
    Il a trouvé du côté de Flora Fountain un libraire plus aimable, Vijay, qui le paie cinquante roupies la journée. Dès le matin au lever il commence à dépenser de l’argent en sacrifiant une roupie pour aller aux toilettes et cinq autres pour se laver. Le gardien des lieux lui a indiqué une dhaba où l’on mange pour dix-sept roupies à midi, mais Babbanji arrive à se rassasier avec six roupies et demie de rôtis et deux roupies de banane. Il dîne dans un « hôtel » voisin pour quatorze roupies, de rotis accompagnés d’un petit plat de légumes. « J’ai la chance d’être végétarien, sinon ça me coûterait au moins quarante roupies. » Miraculeusement, Babbanji parvient donc à économiser sur son salaire. Il a un petit pécule devant lui, qu’il dépense en livres dénichés sur le trottoir, aux éventaires qui pullulent à Bombay. Il me montre une de ses récentes acquisitions, L’Éducation en Inde : historique et problèmes (trente roupies), qu’il a achetée parce qu’il s’intéresse à l’éducation musulmane.
    L’étal de son patron en jouxte un autre qui vend des sandales. Le soir, après la fermeture, le marchand de sandales range sa marchandise, recouvre les planches d’une bâche en plastique, et la table se transforme en chambre pour quatre à cinq personnes habituées à dormir dehors : lui, Vijay le libraire, un cordonnier et un autre homme qui vient s’allonger à côté de Babbanji alors qu’il dort déjà et se lève le matin avant qu’il soit réveillé si bien qu’il ne lui a jamais parlé et ne l’a jamais vu ; il sait seulement qu’il dort près de lui la nuit.
    Babbanji me montre les dhabas et les toilettes qu’il fréquente : les endroits où il se nourrit et ceux où il se soulage. Dans la tente dressée sur le maidan {207} qui s’étend derrière Churchgate, des hommes en nage tournent les préparations qui mijotent dans de grandes marmites. C’est là que pour dix roupies on peut se procurer une ration de riz et de dal qui permettra de tenir un jour de plus. Il faut avoir de bonnes raisons de chercher cet endroit pour savoir qu’il existe au cœur de Bombay ; les banlieusards qui se ruent vers la gare passent tout près sans le voir. Deux toilettes publiques se trouvent à proximité ; les pires sont de loin celles du Sulabh Sauchalaya qui dépendent d’un organisme caritatif privé. À cette heure-ci encore, dans la touffeur de l’après-midi, il faut prendre son tour pour accéder à l’une des trois cabines. Le matin la file d’attente s’allonge au-delà du seuil, sur les marches et jusque sur le trottoir. Babbanji a fait le calcul : un être humain a besoin de passer huit minutes en moyenne aux toilettes. « Seulement le temps que tu te déshabilles, les autres cognent à la porte ; ils commencent au bout de deux minutes et ils sont vite cinquante à taper sur la porte des toilettes pour que tu te dépêches. » Il a pris l’habitude de se lever à six heures et demie pour être tranquille.
    La première journée qu’il a passée à Bombay a appris à Babbanji une autre tactique de survie des sans-abri : ne jamais relâcher sa vigilance quand on se lave. Au Sulabh Sauchalaya, il faut remplir un seau à l’aide d’un tuyau branché au robinet de l’évier. Après avoir longtemps patienté dans la file, Babbanji s’accroupit devant le seau, mit de l’eau dedans et commença à se savonner. Un mouvement dans son dos le poussa à se retourner : l’homme qui se trouvait derrière en profita pour s’emparer du seau et se le vider sur la tête, lui volant son eau. Babbanji aurait bien rouspété, mais le type n’avait pas l’air commode et il se résigna à se rincer tant bien que mal la tête sous le petit filet qui gouttait du tuyau. Le suivant le prit en pitié et

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