Bombay, Maximum City
pouvait lui dire ce qu’il était devenu.
Le 2 avril, le professeur de géologie vit son fils en rêve. Il traversait le campus de l’université pour venir à sa rencontre. Le rêve était silencieux ; pas un mot n’était échangé entre eux. Ce jour-là, une lettre de Babbanji arriva enfin. « Le pion a porté une lettre à sa maman. Tous les jours elle avait guetté le pion qui distribuait le courrier. L’adresse était en anglais. Elle a couru me porter la lettre. J’ai eu peur qu’il ne s’agisse que d’une enveloppe-réponse pour un concours. » La carte était signée « Babbanji de Flora Fountain ». Le père l’a lue et l’a relue trois fois. Seuls deux des mots qu’elle contenait l’ont fâché. Il la sort, à présent, il nous lit cette formule inscrite par Babbanji au-dessus de sa signature : « Votre fils vaurien et vagabond. »
« Ces deux mots m’ont fendu le cœur. Mon beta n’est ni un vaurien ni un vagabond.
— Pour le monde entier je suis un vagabond, non ? intervient Babbanji les larmes aux yeux.
— Un fils n’est jamais un vagabond pour sa mère et pour son père. »
Derrière nous, le juke-box joue une chanson des Bee Gees, It’s Only Words {208} .
Après l’arrivée de la lettre, le professeur et le grand-père de Babbanji ont pris le premier train pour Bombay avec la certitude qu’ils allaient trouver le garçon devant un mur blanc et jaune. Le père ne savait pas encore que le premier à avoir tendu la main à son fils était le libraire Ram Babu Joshi.
Il en veut aussi à Babbanji de lui avoir caché qu’il avait des ennuis à l’université. « Je ne laisserai pas mon fils à Sitamarhi. Je vais essayer d’obtenir une mutation. »
Babbanji s’y oppose : « Je resterai à Sitamarhi. Quand je reviendrai à Sitamarhi, je ne serai plus un provincial. » Il aura été à Bombay et désormais les petites brutes le regarderont autrement.
Le père reconnaît volontiers le côté positif des aventures de Babbanji dans la grande ville. « Il n’a pas déraillé. Il s’est instruit. À présent il faut l’aider, ajoute-t-il en s’adressant à moi. Nous ne sommes que ses parents.
— Dis-moi en ami ce que je dois faire », ajoute Babbanji. Doit-il rentrer, doit-il rester ?
J’évoque le triste état dans lequel se trouve le Bihar.
Oubliant leurs divergences, père et fils prennent comme un seul homme la défense de leur État.
« Le Bihar compte de nombreux scientifiques. Nous avons là-bas un enfant de dix ans qui vient d’obtenir sa licence de biologie. Tous ils sont brillants chez nous.
— C’est une terre féconde », renchérit Babbanji, d’avis que les meilleurs poètes hindis sont biharis.
Le père veut que son fils retourne au Bihar et à la science. « Un scientifique est toujours un grand littérateur, déclare-t-il.
— C’est à Bombay que j’écrirai ; mon karmabhoomi est à Bombay, répète Babbanji autant pour convaincre son père que pour s’en persuader. Si le destin n’avait pas voulu que je travaille à l’étal du libraire je n’aurais pas rencontré Adil. »
Je lui rappelle la vie qu’il a menée.
« Le trottoir ne me fait pas peur, me répond-il. Maintenant que je me suis mis en route je veux suivre ma voie. »
Il nous lit un poème qu’il vient de composer sur un train de Bombay « qui les porte par milliers sur son dos et les ramène au point de départ ». Personne, estime le poète, ne comprend le triste sort du train.
« Où a-t-il appris tout cela ? s’étonne le père stupéfait. Comment est-il entré dans le monde de la littérature ? Ce supplément de qualités, je ne comprends pas d’où il le tire. Peut-être lui vient-il de mon grand-père qui avait beaucoup d’ouvrages littéraires. » En cherchant des indices sur les mobiles de la fuite de son fils, il est tombé sur un carnet qui lui a révélé le secret de Babbanji : dedans, il y avait un long poème écrit de sa main. « J’étais surpris. Quand ce garçon s’était-il mis à la poésie ? Je serais incapable d’écrire comme ça. Dans la situation actuelle au Bihar, même un étudiant en maîtrise ne pourrait pas écrire comme ça. » Il faut cependant que Babbanji décroche ses diplômes. Le professeur a un grand regret, dans la vie : il n’a jamais passé sa thèse. « L’an dernier, j’ai fait un vœu : j’aurai ma thèse par l’intermédiaire de mon fils. Il doit avoir deux diplômes de mieux
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