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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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la jubilation du couple malgré la distance qui nous sépare et la cohue impénétrable qui s’empare frénétiquement de la fortune jetée sans compter. Les dents blanches de Rakshaben brillent dans son visage sombre. Mari et femme sont visiblement soulagés. Ils me rappellent les clients du Sapphire, soulagés eux aussi de laisser couler l’argent sur la tête des danseuses. Ils dilapident leurs trésors de la même manière, à deux mains, pour s’en débarrasser le plus vite possible.
    À la suite des diksharthis dansent deux chevaux humains (des hommes harnachés avec du matériel grandeur nature) ; des musiciens soufflent dans des conques, un autre tape sur une assiette en métal, un moine incline une cruche pour arroser le sol d’un filet d’eau. Le dernier char transporte une statue du prophète Mahavir lui-même, en posture de méditation sous le capuchon d’un cobra doré. Cette idole est étonnamment petite. Derrière vient une carriole chargée d’un monceau de cartons contenant des dattes en grappe et des cylindres de sucre brun qui sont également destinés aux pauvres. Autour, c’est l’affluence, et les malabars qui distribuent ces présents agitent également des bâtons pour tenir la foule en respect.
    Hommes et femmes, tous les membres des tribus de Dhanera et des villages environnants ont revêtu leurs plus beaux atours de coton et de soie aux couleurs extravagantes. Quand le cortège passe devant la statue d’Ambedkar, les diksharthis redoublent de générosité envers la masse, surtout constituée d’intouchables, qu’ils attirent comme d’autres les pigeons en jetant du grain à la volée. Le grand libérateur des dalits tend un bras devant lui, l’index levé en signe de censure ou d’interdiction.
    Une ambiance de kermesse règne sur l’aire du festin dont les diksharthis sont à présent tout près. Depuis des heures les paysans battent la semelle autour de la tente du don où seront distribuées des offrandes en grain et en vêtements prélevées sur la fortune de Sevantibhaï. Au-dessus de la foule, un acrobate marche sur un fil. Sevantibhaï et Rakshaben approchent sur leur char, aussi majestueux qu’un roi et une reine sur leurs trônes. Des hommes qui les précèdent en carriole braillent à tue-tête : « Renoncez au monde ! Renoncez au monde ! » Quelque chose alors attire le regard de Sevantibhaï et d’un signe il l’indique à celle que pendant vingt-quatre heures encore il peut considérer comme son épouse : Regarde. Elle lève les yeux. Le funambule se tient en équilibre au sommet d’un poteau, haut, très haut au-dessus de la marée humaine, silhouette menue qui se détache à contre-jour sur le ciel clair de janvier. Le couple le salue, les mains jointes, mais il est sans doute le seul à ne pas s’en apercevoir. Leur tournant le dos, il se suspend tête en bas à son fil. Sevantibhaï et Rakshaben admirent l’artiste de foire avec une expression ravie.
    Les hôtes de Sevantibhaï ont été nourris sept jours durant. Aujourd’hui, huitième et dernier jour, toutes les âmes des cinquante-sept villages du district de Dhanera ont été invitées à un grand festin. Trente-cinq mille personnes ont pris place côte à côte – hommes et femmes sous des tentes à part – pour participer à ce repas dont les éléments, comestibles et autres, ont été achetés chez eux. Les chefs de village ont reçu instruction de les préparer à la manière des anciens : l’eau ne vient pas des robinets, il a fallu la tirer au puits ; l’huile a été produite dans des pressoirs actionnés par des bœufs ; la vaisselle en cuivre est fabriquée à la main ; le beurre clarifié est issu du lait de vaches élevées sur place et pas du lait de bufflonne ; le sucre candi et le sucre roux sont biologiques ; céréales et légumes ont été récoltées et cueillis dans les champs et les potagers de la région ; la farine a été moulue à la main et pas dans des moulins mécaniques, pour ne pas être contaminée par des cadavres d’insectes. Tout est conforme aux volontés exprimées par Sevantibhaï. Comme quoi, à l’aube du XXI e  siècle, il reste possible de préparer un repas strictement jaïn, composé et cuisiné sur place en quantités suffisantes pour nourrir trente-cinq mille personnes, selon des techniques d’une nocivité minimale pour l’environnement. Les mets sont bons et sains : deux desserts par personne, deux farsaan {221} savoureux,

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