Bombay, Maximum City
disait, tu en as plus que moi, et on s’en reversait une rasade. Après la prière, on se tapait un pav bhaji [spécialité riche en oignons, pommes de terre et ail interdits] : il fallait qu’on mange un pav bhaji après la prière. On se permettait tout : l’alcool, le théâtre, le cinéma-tout ! » Sevantibhaï est quelqu’un de très sensuel, me confie Hasmukh. Il apprécie particulièrement les massages ; avant, il y avait toujours deux personnes pour le masser à domicile. Hasmukh s’est disputé avec son meilleur ami, à Dhanera, il l’a traité de tous les noms. « Hier soir encore je lui ai dit, bhenchod, chutiya, ne fais pas ça. C’est quoi encore ce truc de chodu {222} que tu as inventé ? J’ai été très franc. Il m’a dit que si je m’engageais dans la diksha avec lui j’atteindrais le moksha le premier. »
Depuis que Sevantibhaï suit la voie de la piété, leurs liens se sont quelque peu distendus. Hasmukh qui revient régulièrement en Inde ne se précipite plus chez son ami comme avant. Pas parce que les pénitences qu’il s’inflige le mettent mal à l’aise, mais parce qu’il craint de le retarder sur le chemin du moksha. Quand Hasmukh venait le voir, Sevanti interrompait la récitation des prières pour bavarder avec lui et ensuite il fallait qu’il jeûne tout le lendemain pour expier ce péché. Leurs conversations prenaient un tour de plus en plus didactique. Un jour, Sevanti a entretenu Hasmukh pendant quatre heures de la nature de la goutte d’eau, de la vie qu’elle contient, de l’importance cosmique de cette goutte unique. Ce jour-là, Hasmukh a appris que toute la famille de son oncle allait renoncer au monde.
Un gémissement perçant s’élève soudain par-dessus le joyeux brouhaha. Laxmichand, frère aîné de Sevantibhaï et roi de la métallurgie, s’abandonne au chagrin. Il geint et se lamente et tout le monde se précipite pour le consoler : les femmes de la maisonnée (qui ont déjà beaucoup pleuré), les hommes, et les swamis jaïns qui traînent dans le coin et ne veulent pas être en reste. (Plus tard, Laxmichand aura ce commentaire acide à propos des gourous qui n’ont pas arrêté de lui ressasser leurs instructions sur le déroulement de la cérémonie : « Ils n’ont rien d’autre à faire ou quoi ? ») L’atmosphère festive qui régnait jusque-là dans la maison Ladhani devient brusquement lugubre. Un vieillard rappelle au triste Laxmichand qu’il devrait au contraire se réjouir, et entre deux sanglots Hasmukh me glisse : « Regarde un peu. Cet homme est le père de Raksha. Il va perdre sa propre fille et il est en train de consoler Laxmichand. Sacré bonhomme ! » Hasmukh est sûr que malgré tout ce qui s’est passé Laxmichand préférerait que Sevanti arrête ce cirque et choisisse le samsara. Les deux frères se sont âprement disputés ; certains membres de la confrérie des diamantaires croient savoir que les diksharthis auraient subi des pressions pour rester dans la famille, d’autres soutiennent que les querelles portaient sur la répartition des biens.
Utkarsh, le plus jeune des fils de Sevanti, est assis dehors. J’apprends maintenant seulement les surnoms que le clan immense leur a donnés, à son frère et à lui : Chiku pour Utkarsh et Vicky pour Snehal. « Demain, il faudra que je te donne du maharajsaheb et que je me prosterne devant toi, mais pour l’instant tu es encore mon Chiku », lui dit Hasmukh, et ils continuent à plaisanter ensemble sur ce ton. Au cours du dernier repas, l’ensemble de la famille élargie – une centaine de personnes – leur offre pour la toute dernière fois des mets préparés à la maison. Un des enfants réclame des bhelpuris. Demain, le plaisir associé à la nourriture sera proscrit et ces gamins qui ont grandi à Bombay n’auront plus jamais le droit de mordre dans un bhelpuri. Le dîner terminé, les femmes se mettent à chanter tandis qu’un homme sort dans le jardin pour allumer des centaines de lampes à huile à l’aide d’une longue mèche au bout de laquelle brûle une petite flamme. Puis quelqu’un se lance dans la lecture à voix haute d’un document aux allures de testament. Sevantibhaï répartit les restes de sa fortune entre ses parents. À tous il laisse quelque chose – une somme qui varie de quelques lakhs à deux mille cent roupies pour la plus modeste. Les mains jointes devant lui il s’adresse ensuite à la foule de ses parents :
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