Bombay, Maximum City
un puri, deux légumes, deux dais, des papadams, du riz, un piment farci, du chutney. Il n’y a ni oignons, ni ail, ni pommes de terre dans la cuisine, rien qu’il aurait fallu arracher à la terre. En revanche, l’eau que l’on verse dans mon verre est boueuse, pleine de sable.
Je suis logé avec de vieux amis de mon grand-père chez un médecin qui pour l’heure, assis sur la véranda de sa maison, me prodigue d’utiles éclaircissements sur le jaïnisme. Quand la procession est passée devant l’hôpital, il n’est sorti que quelques secondes pour y jeter un coup d’œil. De son point de vue les Ladhani se livrent là à un simulacre. Lui-même appartient à la branche Sthanakvasi de la secte jaïn Svetambara qui condamne le culte des idoles – « comme dans l’islam » – et préconise de réserver le temple à la prière. Sevantibhaï appartient pour sa part à la secte Deravasi que le docteur qualifie de murtipujak, adoratrice d’idoles. Aujourd’hui, m’explique-t-il, il existe quatre-vingt-quatre sectes jaïns et seuls dix pour cent des sâdhus sont authentiques ; les autres volent l’argent destiné aux pauvres. Quant aux diksharthis, ils prennent soin de mettre de l’argent de côté au cas où ils décideraient de revenir au samsara, et s’ils vont eux-mêmes à pied d’un endroit à l’autre ils se débrouillent pour que leurs disciples et proches parents les accompagnent en voiture et pourvoient à tous leurs besoins, leur procurent si nécessaire des médicaments modernes, préparent à l’avance les itinéraires de leurs pérégrinations. Chaque responsable de secte a à cœur d’attirer vers son ordre autant de diksharthis que possible. Les enfants Ladhani se sont engagés dans cette voie pour obéir à leur père. Tout le monde le sait, mais le médecin se garde bien de le crier sur les toits. Il n’a pas envie de prendre des coups.
Dhanera est une ville de trente mille habitants qui a perdu une grande partie de sa population jaïn ; une centaine de familles seulement sont restées sur place. Malgré cela, elle s’enorgueillit d’être le berceau familial de cinquante jaïns dont la diksha a été célébrée ici même au cours des dix dernières années. Le faste qui entoure l’entrée des Ladhani dans la vie monastique est toutefois exceptionnel. « On n’avait jamais vu ça à Dhanera », confirme le médecin. Selon lui, c’est poussé par « une foi aveugle » que le diamantaire a opté pour la diksha. Comme je l’interroge sur les rituels du renoncement, il me répond par une parabole. Autrefois, il y a très longtemps, un homme avait été chargé de conduire un mariage. Un chat lâché dans la salle d’honneur perturbait le déroulement de la cérémonie et l’homme prit sur lui de l’attacher à un pilier. Depuis, chaque fois qu’un mariage est célébré dans cette famille on attache un chat à un pilier en croyant respecter une coutume ancestrale, mais tout le monde a oublié la raison de ce geste, répété génération après génération. Le renoncement aux institutions s’est institutionnalisé.
Quand je retourne dans la soirée chez Sevantibhaï, je suis accueilli comme un des leurs par ses parents et amis qui ont envahi le jardin. « Cent ans dans le métier », déclare à propos de ma famille un diamantaire qui s’est fait en même temps que mon grand-père. La plupart de ces gens connaissent mon grand-père, mon oncle, mon père. On me présente à un homme de haute taille et très sombre de peau, qui porte des lunettes et parle anglais avec un fort accent gujerati mâtiné d’américain. Hasmukh, qui habite Los Angeles et travaille lui aussi dans les diamants, est un neveu de Sevantibhaï, bien qu’il n’ait qu’un an et demi de moins que lui. Il est, surtout, le meilleur ami du renonciateur et ne demande pas mieux que de m’expliquer à quel point ils sont proches. Il adore son oncle depuis l’âge de cinq ans ; on dit d’eux qu’ils sont aussi inséparables qu’une paire de bœufs sous le même joug. Quand Sevantibhaï et Rakshaben sont partis en lune de miel à Srinagar, il était du voyage. L’oncle et le neveu se sont lancés ensemble dans le commerce des diamants. Le dimanche, ils emmenaient leurs femmes au Copper Chimney, buvaient et mangeaient tout leur saoul dans ce restaurant. « On a tout fait. On buvait tous les samedis, tous les dimanches ; il nous fallait du whisky. On lorgnait le verre de l’autre, on
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