Borgia
la bandons… et enfin, le jeune homme ouvre les yeux…
Primevère saisit la main de la contadine.
– Comment t’appelles-tu ? lui demanda-t-elle.
– Je m’appelle Bianca, dit la paysanne d’un air étonné.
– Bianca, tu es fiancée, n’est-ce pas ?… Ne t’inquiète pas de ta dot ! Je t’en ferai une telle qu’on te jalousera à dix lieues à la ronde…
– Ah ! signora !… On me l’avait bien dit que cela portait bonheur de vous approcher !
– Mais continue… dépêche-toi…
– Alors, voilà ce jeune homme qui fait signe qu’il veut parler… je m’approche tout près de lui. Il me demande d’une voix faible s’il y a un homme dans la ferme… Je lui réponds que non… Il paraît désespéré… Mais je lui dis qu’à l’occasion, je suis assez solidement bâtie pour remplacer un homme… Alors rassemblant toutes ses forces, il me dit : « Eh bien… si vous voulez que je ne meure pas désespéré, allez à Monteforte, entrez au palais, trouvez la princesse Béatrix, parlez-lui surtout sans témoins, et dites-lui qu’au moment de mourir, le chevalier de Ragastens la bénira si elle daigne lui apporter une suprême consolation… » Ce sont ses paroles mêmes, signora. Je les ai répétées tout le long du chemin… Car, aussitôt que le jeune homme eut fini de parler, il retomba dans son évanouissement et, moi, attelant notre carriole, je me suis mise en route sans perdre une seconde… Voilà ma mission, signora !…
Primevère se leva et, d’une voix fiévreuse :
– Partons, dit-elle. Conduis-moi !…
– Ah ! signora, s’écria-t-elle, comme cet infortuné va être heureux !… Mais permettez à une humble paysanne de vous conseiller la prudence. La signora ne pourrait-elle pas s’arranger pour qu’on ne la voie pas sortir du palais ? Je me charge de la ramener ici avant le jour…
– Oui ! tu as raison !… Par la porte du fond du parc, nul ne me verra sortir. Viens… hâtons-nous…
Elle se mit en route à pas précipités. La contadine la suivait à deux pas.
Béatrix ne put donc remarquer qu’en arrivant à un détour d’allée, la paysanne fit un signe étrange. Une ombre cachée dans un fourré, recueillit ce signe.
Béatrix, en arrivant à la porte du fond du parc, ne songea même pas à s’étonner que cette porte fût entrouverte.
– Où est votre carriole ? demanda Béatrix.
– Je l’ai laissée hors des murs ; il y a trop de mouvement dans Monteforte.
– Allons ! dit Béatrix.
Un quart d’heure plus tard, elle arrivait à la grande porte. Elle était fermée.
– On ne passe plus ! dit le soldat de garde.
Béatrix hésita une seconde. Elle entra au poste et se montra à l’officier.
– Faites ouvrir, monsieur ! ordonna-t-elle.
L’officier se précipita en criant un ordre. La contadine était restée au-dehors, cachant une partie de son visage dans les plis d’une écharpe. Une minute plus tard, toutes deux étaient hors des murs.
– Venez, dit Bianca, la carriole est à deux cents pas d’ici…
Primevère s’élança. Elle ne tarda pas, en effet, à apercevoir une sorte de char à banc. Sans hésitation, elle sauta dans la carriole. La paysanne prit place près d’elle. Et, d’une main vigoureuse, fouetta sans relâche le cheval.
Cette course dans la nuit dura presque deux heures. Elle se fit silencieusement.
Enfin Bianca étendit son fouet dans l’ombre. Elle désignait une masse carrée qui s’estompait dans la nuit.
– Notre ferme ! prononça-t-elle.
– Il est là, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.
– Oui, répondit la contadine, il est là.
Une minute plus tard, la carriole entrait dans la cour de la ferme et s’arrêtait. Bianca sauta à terre et tendit la main à Béatrix. Celle-ci sauta aussitôt et fut entraînée par sa conductrice. Son cœur battait à se rompre.
Tout à coup, elle se trouva dans une salle basse, à peu près semblable à une salle commune de ferme.
– Bianca, où est-il ? demanda-t-elle à voix basse.
La contadine éclata de rire.
– Je ne m’appelle pas Bianca ! dit la paysanne.
– Où est le chevalier ?… Parlez, malheureuse !…
– M. de Ragastens est à Monteforte…
Primevère poussa un cri de terreur et courut à la porte. À ce moment, elle entendit le grincement d’une clef dans la serrure de cette porte.
– Je m’appelle Lucrèce Borgia !
Primevère recula… Un instant, elle sentit un immense désespoir
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