Borgia
souriant et pour ainsi dire consolé de la disparition de Rosita. Ayez d’abord l’obligeance de me présenter à monsieur…
– Mon ami Machiavel, un grand penseur, chevalier, et qui, quelque jour, étonnera le monde.
– En attendant, fit Machiavel en tendant la main à Ragastens, c’est monsieur le chevalier qui étonne la Ville Éternelle. Ah ! Chevalier, on ne parle que de vous dans Rome… surtout depuis que les Borgia ont estimé votre tête à trois mille ducats d’or. Peste, mes compliments !
– Eh ! fit en riant Ragastens, ils ne l’estimeront jamais autant que moi-même. Quoi qu’il en soit, je ne donnerais pas, moi, un écu percé pour toutes les têtes des Borgia… Les monstres !… Ainsi, ils ont mis ma tête à prix ?… Et tu as su cela, toi ? ajouta-t-il en se tournant vers Spadacape.
– La première des choses que j’aie vue tout à l’heure, en entrant dans Rome, c’est la tablette qu’on clouait à la porte d’une église. Et j’ai vu l’édit pontifical contresigné par monseigneur César.
– Et qu’as-tu pensé ?
– Que j’étais fier de servir un maître estimé si cher !
– Bravo ! Eh bien, va nous chercher quelques flacons de Chianti, du plus frais !
Spadacape s’élança.
– Messieurs, dit alors Ragastens, l’homme que vous venez de voir exerçait, il y a deux jours encore, l’honorable métier de voleur. Je ne le connais que depuis ce matin. Je l’envoie à Rome où il apprend qu’il peut, en me livrant, gagner trois mille ducats d’or. Et il ne me livre pas ! Y comprenez-vous quelque chose ?
– Quelle imprudence que de vous être confié ainsi à ce hère ! s’écria Sanzio. La somme est forte, chevalier, et la conscience des hommes bien vacillante.
– Oui, dit Machiavel. Mais en donnant à ce truand une telle preuve de confiance illimitée, le chevalier se l’est attaché pour toujours.
À ce moment, celui qui faisait l’objet de cette conversation reparut, chargé de flacons.
– Causons, maintenant, reprit le chevalier, lorsqu’il fut attablé avec ses deux amis.
Et il raconta en détail tout ce qui lui était arrivé depuis qu’il avait dit à Raphaël de l’attendre dans la maison de Machiavel.
Mais il omit de relater le rapide entretien qu’il avait surpris entre le moine dom Garconio et Lucrèce, et qui était relatif à l’enlèvement de Rosita.
– Voilà mon odyssée, acheva celui-ci. À votre tour, maintenant, Dites-moi, je vous prie, comment, vous ayant quitté presque désespéré, je vous vois presque consolé. Auriez-vous retrouvé celle que vous aviez perdue ?…
– Non ! fit Raphaël, mais la chose est en bonne voie. En vous quittant, je me rendis chez Machiavel qui s’évertua vainement à me consoler… Inutile de vous dire avec quelle impatience nous vous attendîmes. Car j’avais mis Machiavel au courant de ce que vous aviez fait en me sauvant la vie, et de ce que vous vouliez faire en sauvant mon amour… plus que ma vie !
« C’est curieux, pensa Ragastens. Il a pourtant l’air toujours aussi épris… »
– Les heures, continua Raphaël, s’écoulèrent. Ne vous voyant pas revenir, nous sortîmes pour nous rendre à l’auberge du Beau-Janus, dans l’espoir d’avoir de vos nouvelles. Elles furent terribles : Bartholomeo nous apprit ce que tout le monde à Rome savait déjà, c’est-à-dire votre arrestation et l’effrayante accusation qui pesait sur vous… Inutile de vous dire, cher ami, que pas une seconde, je ne pus imaginer que l’homme qui m’était apparu si chevaleresque, pouvait être un misérable assassin. Seul, Machiavel chercha à concilier la possibilité du meurtre de François Borgia avec ce que je lui avais dit de votre caractère…
– Eh ! fit Machiavel, tuer un Borgia, ce n’est pas être un assassin… C’est être un justicier ! Un coup de poignard dans la poitrine d’un despote, ce n’est pas plus qu’un coup de talon sur la tête d’un reptile venimeux…
– Je fus désespéré, cher ami, de ce qui vous arrivait, reprit Raphaël. J’avoue, à ma honte, qu’il se mêlait un peu d’égoïsme à ma douleur… Je ne sais comment la chose s’était faite, mais vous m’aviez inspiré une confiance sans borne. Avec vous, j’étais sûr de retrouver Rosita. Sans vous, je me crus perdu… Mais j’espérais encore en vous. Je me disais qu’il y avait méprise, qu’on ne tarderait pas à vous relâcher… Hélas ! nous apprîmes
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