Borgia
politique.
– Bon !… Ceci pourra peut-être nous servir.
La nuit était venue lorsque le dîner s’acheva. Ils avaient successivement envisagé et rejeté une foule de projets. Et enfin, ils avaient convenu de se rendre tous les trois à Tivoli et là, de se laisser inspirer par les circonstances.
Le lendemain matin, à l’aube, Ragastens, Machiavel et Sanzio se mirent en route, suivis de Spadacape. Ragastens ruminait un plan d’attaque. Raphaël s’absorbait en des pensées de désolation. Machiavel cherchait à se figurer le plan exact de la villa du pape, qu’il avait eu l’occasion de visiter.
Bientôt, le soleil se leva et incendia l’horizon. Ragastens se secoua comme un oiseau après l’orage.
– Mordieu ! fit-il, nous avons l’air d’accompagner un mort. Pourtant, c’est de la vie que nous allons conquérir… de la vie, de la jeunesse et de l’amour !… Quand je pense, reprit Ragastens, que ce magnifique soleil devait éclairer mon exécution ! Car c’est ce matin que je devais avoir le cou et les poignets tranchés… Savez-vous à quoi je songe ?
– Dites ! fit Machiavel.
– Je songe au pauvre bourreau de Rome. Vrai, je le plains. Voilà un gaillard qui ne doit pas me porter dans son cœur. Lui avoir enlevé la bonne aubaine des poignets et de la tête… Au bon moment, voici que le principal invité se fait excuser. Quel manque de tact ! C’est à dégoûter du métier de coupeur de têtes…
Machiavel et Raphaël ne purent s’empêcher de rire.
– Il nous reste, continua Ragastens, à dégoûter Rodrigue Borgia du métier de ravisseur. Peste, monsieur le pape, ce joli minois n’est pas pour vous… Au fait, sommes-nous dans le bon chemin ?…
– Nous ne nous en écartons pas d’une ligne, dit Machiavel.
– Merci, ami, fit Sanzio. Votre bras est fort et votre esprit alerte. Vous mettez l’un et l’autre au service d’un pauvre amoureux qu’à peine vous connaissez… Comment pourrai-je vous remercier assez ?…
– Vous placerez mon profil dans un tableau. Je vous aurai donné un peu de bonheur et vous m’aurez donné l’immortalité !… Ce sera encore moi votre obligé.
Cette louange délicate, cette assurance formelle que montrait Ragastens de rendre le bonheur au peintre firent une inexprimable impression sur l’esprit de Raphaël.
– Chevalier, s’écria-t-il, c’est entre nous à la vie, à la mort !
– J’y compte bien ! répondit Ragastens.
Ils avaient depuis plus de deux heures quitté la route de Florence et, sur les indications de Machiavel, s’étaient dirigés sur une chaîne de montagnes semblables à de gigantesques chevaux de l’Apocalypse.
– Tivoli ! fit tout à coup Machiavel.
Son bras indiquait un amas de maisons blanches enfouies dans la verdure envahissante des jardins qui surplombaient des précipices au fond desquels roulaient à grand fracas les cascades blanches d’écume. Ils s’arrêtèrent. Raphaël contempla avec une intense émotion ce village où sa jeune femme avait été entraînée comme en un nid de vautour accroché aux flancs des roches escarpées.
– Regarde, lui dit Machiavel. Vois-tu, là, sur notre gauche, cette gorge profonde qui forme un gouffre ?… Tu vois… l’Anio s’y perd avec un grondement que nous entendons d’ici…
– Je vois…
– Au bord du gouffre, vois-tu ces colonnes corinthiennes mangées de lierre ?… C’est tout ce qui reste du temple de la Sybille…
– Je vois… Ensuite ?… Parle !…
– Eh bien, là, sur la droite du temple, à environ mille pas du gouffre de l’Anio, ces bâtiments protégés par des cyprès et des sycomores, entourés de ce luxuriant jardin que ferment de hautes murailles… C’est la villa d’Alexandre Borgia !…
– Ma Rosita ! répéta sourdement Raphaël en tendant les bras vers l’élégante villa fleurie qui, sous son charme et ses fleurs, cachait le drame.
Bouleversé de pitié, Ragastens et Machiavel entraînèrent le malheureux jeune homme. Une heure plus tard, tous les trois entraient dans la petite ville de Tivoli et s’installaient dans une auberge écartée.
XXIX – LA VIEILLESSE DE BORGIA
Cette villa vers laquelle Raphaël Sanzio avait tendu les bras dans un geste de désespoir était une vaste maison d’été où tout avait été combiné pour le repos de l’esprit et le plaisir des yeux.
Dans le jardin, sous un massif de grenadiers, au fond duquel un Amour de marbre joue
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