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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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Bob l’a remercié d’un vague
signe de tête, puis est retourné à sa conférence imaginaire.
    A l’écoute des premières notes, il a brusquement relevé la
tête :
    « Mais c’est sur ce disque qu’il y a mon morceau
préféré. »
    Richard rayonnait de joie. Tandis que Creeley se concentrait
maintenant sur la musique, Richard a détaillé les obstacles auxquels il s’était
heurté pour obtenir ce disque en particulier. Heureux d’avoir pu faire plaisir
à Creeley, il est retourné à ses fourneaux.
    La chanson se termine. Creeley se lève en titubant et se
dirige à vue vers la chaîne stéréo. Il essaye de remettre le même morceau, mais
raye tout le disque en faisant déraper l’aiguille en travers.
    Il émet un « Oh ! Oh ! », puis regagne
son canapé, afin d’y poursuivre sa discussion avec lui-même.
    Entendant le craquement, Richard sort en trombe de la
cuisine juste à temps pour assister en direct à la scène du « Oh !
Oh ! ».
    Il s’approche de la stéréo, et tire de la pile un autre
exemplaire du même album. Sur ce ton plaisant qui lui était propre, Richard se
félicite :
    « Cette fois-ci, j’ai pris mes précautions », et
de raconter que Creeley avait déjà bousillé précisément ce disque-là.
    C’est tout juste si Creeley manifeste la moindre
reconnaissance. Richard quitte la pièce. La chanson s’achève. Creeley relève la
tête, et déclare : « Mais c’est mon morceau préféré ! » Il
se dirige vers la stéréo, saisit le bras et skrriiaak, détériore le second
album.
    « Oh ! Oh ! » fait-il, manifestement
ennuyé.
    Au son du skrriiaak, Richard resurgit de la cuisine. Le
regard sombre, il reprend le disque, et, délicatement, le dépose sur le
précédent déjà abîmé. Puis, profondément contrarié, avec cette moue qu’il
affichait si souvent quand ce qu’il avait prévu marchait de travers, il se
replie douloureusement vers la cuisine.
    Richard adorait les histoires loufoques d’artistes
excentriques. J’imagine qu’il tentait ainsi de minimiser sa propre exubérance,
en l’inscrivant dans une tradition. Il se chargeait également de romancer la
vie des poètes, comme l’exigeait la légende de North Beach, cette légende qui
supposait certaines attitudes de l’artiste et des réactions autodestructrices
vis-à-vis de l’art.
    Je n’en ai personnellement jamais tenu compte, mais il m’a
bien fallu reconnaître l’impact de cette conception dans la vie de Richard,
dont les années d’apprentissage se déroulèrent aux côtés de Jack Spicer, qui
mourut alcoolique. Bien entendu, Richard n’était pas dupe de ces mascarades et
savait les manier avec humour.
    Le lendemain matin, j’étais dehors sur la terrasse. Je le
vis qui arpentait la maison et ramassait divers objets. J’en conclus qu’il
devait être en train de faire le ménage, suite à la soirée de la veille. Il
s’est approché de moi, les deux poings fermés à hauteur du visage.
    « Keith », dit-il, « tu veux que je te montre
un truc ? »
    Il a ouvert ses mains. Dans ses paumes sont apparus des
rabats d’enveloppes, des marges de journaux découpés et un tas d’autres bouts
de papier griffonnés, couverts de pattes de mouche indéchiffrables.
    « Ce sont les derniers poèmes de Robert Creeley.
    A chaque fois que Bob vient ici, voilà de quoi il parsème la
maison. »
    Puis, moqueur, il m’a toisé solennellement et a
déclaré :
    « Ses poèmes, je les conserve tous pour la postérité,
dans un bol au-dessus du piano. »
    Sans doute en partie parce que la maison lui rappelait les
cabanes dans les arbres, mais en partie aussi parce que la présence de Creeley
le mettait à l’aise, Richard s’ouvrit à nous pour la première fois sur sa
jeunesse. Sujet chargé d’émotion qu’il s’était jusqu’alors bien gardé
d’aborder.
    Un soir donc, j’évoquais avec Creeley quelques vieilles
histoires de mon adolescence sur ma bande de copains, là-haut, dans le
Nord-Ouest américain.
    Nous avions volé un sac en toile de jute rempli de balles de
golf. Qu’allions-nous en faire ? L’épopée s’était en définitive achevée le
dimanche matin sur une autoroute en chantier. Pas question de se lancer dans
une course automobile, non, nous nous étions retrouvés là simplement parce que
dans leur blancheur, les balles resplendissaient d’un éclat magnifique, dans le
brun-roux de la poussière laissée par les bulldozers.
    Richard raconta que lui

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