Byzance

développement de la Garde varègue que Mar proposait.
    Joannès refusa d’envisager d’autres possibilités. Il essaya de paraître calme tandis que l’on escortait le Varègue Nordbrikt manifestement confondu. Il s’en voulait d’avoir perdu autant de temps pour ce projet sans conséquence. Les Varègues, même l’hétaïrarque, ne méritaient guère autant d’efforts. Pas en ce moment, alors qu’il y avait tant d’autres choses en jeu.
    Il pencha la tête vers la table jonchée de papiers et songea à Amastris, son pays natal, à l’époque où son être s’était divisé entre les deux personnes qui cherchaient maintenant si désespérément à ne former qu’un seul. Il sentit la poussière brûlante sur ses lèvres et s’allongea de nouveau sur le dos, la douleur encore vive dans ses testicules, les bras attachés à sa tunique pour qu’il ne puisse pas dénouer la ligature. Michel, le cher petit Michel, rampait, essayait de marcher, chancelait et gazouillait à côté de lui. L’enfant saisit le bras de son frère, le serra, le tint et roucoula de joie. L’amour de nouveau entra dans le corps de Joannès et la douleur disparut.
    Dans la tour du Néorion, avec seulement un cadavre sous les yeux, les énormes épaules vêtues de noir du moine tremblèrent de sanglots.
    — Michel, Michel, cher petit Michel, murmura-t-il. Te voici accablé de souffrances et je ne peux rien faire pour te secourir.
    La douleur l’étouffait.
    — Vous ne gardez pas l’un de ces garçons en votre compagnie ?
    En attendant la réponse de Maria, l’augusta Théodora but une gorgée dans un gobelet constitué par une feuille d’or ciselé pressée entre deux couches de verre transparent. Elle aimait les garnitures de table sophistiquées, mais ceci mis à part, les appartements de son palais de campagne étaient presque nus ; la seule décoration sur les murs de marbre vert de sa salle à manger était une petite icône de la Vierge sertie d’or.
    — Non.
    Maria prit une bouchée de poisson avec sa fourchette d’argent.
    — C’était une erreur. On dit que l’amour est une fleur qui ne fleurit qu’une fois. S’il se dessèche sans porter fruit, il ne refleurira jamais. Mon premier homme était une erreur et donc tous les autres l’ont été.
    — J’aimerais que vous puissiez oublier tout ça, ma chérie. Personne ne vous fait de reproche.
    Maria prit plusieurs bouchées en silence tandis que Théodora l’observait, attendant une réponse.
    — Je pense que vous seriez plus heureuse si vous tentiez de rester chaste, dit enfin Théodora, et si inquiète que je sois au sujet de votre voyage, ma chérie, j’ai l’impression que ce pèlerinage va sauver votre âme. Laissez le Christ emplir votre cœur. Le patriarche m’a aidée à voir que lorsque nous aimons le Christ, nous ne restons jamais sans amour.
    Alexios, patriarche de la Vraie Foi œcuménique, orthodoxe et catholique, était devenu le conseiller spirituel et l’ami personnel de Théodora en exil.
    Maria passa la langue sur ses dents.
    — Alexios est aussi déterminé que Joannès à vous maintenir éloignée de votre sœur.
    — Ma sœur est déterminée à ce que nous restions éloignées. Elle m’en voudra toujours pour Romanos. Parce que je l’ai refusé et qu’elle a été forcée de l’épouser. Je croyais que tout ceci serait enterré dans la même crypte que Romanos. Mais non, cela restera à jamais entre nous.
    — C’est Joannès qui est responsable de cette séparation. Jamais il n’a supporté de vous voir toutes les deux ensemble. Il a dit à l’empereur des mensonges à votre sujet et l’empereur les a répétés à Zoé. On croit tout d’une bouche qui vous est chère.
    — Emmanuel prétend que l’empereur ne s’est pas occupé de cette bouche depuis quelque temps. Peut-être aura-t-elle au cours de ce pèlerinage l’occasion de découvrir qui l’aime vraiment et qui se contente de l’utiliser.
    Théodora plissa le front comme un enfant inquiet.
    — Je sais à quel point elle vous aime. C’est justement la raison pour laquelle il a été si facile de la retourner contre vous.
    Maria pianota sur son gobelet avec le bout de l’ongle pendant presque une demi-minute.
    — Le tissu de l’amour est étrangement fin, dit-elle. Il ne protège guère contre les poisons de l’âme. Parfois, quand je suis avec un homme que j’aime, j’ai l’impression que je peux fouiller en lui – et je ne trouve que