Byzance
ballots de fourrage, conduisaient ici et là leurs énormes bœufs. D’un désert pour lequel un homme du Nord n’aurait pas payé une pièce d’argent de la taille de son ongle, ils avaient extrait un véritable butin. Et pourtant, comme Grégori le lui avait expliqué, un grand nombre de ces hommes fiers et actifs préféraient devenir les esclaves de riches propriétaires, à cause du fardeau des taxes impériales qui pesait sur les paysans libres.
— Le domestique se demande si vous désirez partir en avant avec eux. Il dit que si vous le faites, vous verrez une embuscade romaine.
Haraldr se tourna vers Nicon Blymmédès, domestique des Excubitores impériaux : forte poitrine, membres noueux, environ quarante ans. Blymmédès était accompagné par deux douzaines de soldats montés qui portaient des cottes de mailles jusqu’à la taille et des casques coniques ; leurs arcs et leurs carquois de cuir ouvragé ballottaient dans leur dos. Le reste de leur vanda , une compagnie d’environ deux cents hommes, était composé par les fantassins qui venaient de disparaître, avalés par les rochers torturés et les nuages de poussière tourbillonnante.
— Oui, merci. Je viendrai, répondit Haraldr au domestique.
Il avait fini par apprécier ce Blymmédès au nez de vautour, constamment grincheux. À la différence de tant d’autres Romains toujours en train de comploter, le domestique semblait ne se soucier que de faire son travail convenablement – non, à la perfection – et il veillait à ce que ses subordonnés l’imitent sur ce terrain. Il avait admis Haraldr comme un compagnon d’armes aux concepts militaires peut-être différents des siens mais d’une indéniable efficacité sur le champ de bataille.
Le petit détachement s’élança sur la route en forte pente. Blymmédès resta à l’écart avec Haraldr et Grégori, et se lança dans un de ses fréquents discours tactiques, qu’il illustrait par des gestes vigoureux de ses mains dures comme du cuir.
— Vous voyez, j’ai envoyé mon infanterie en avant ; elle va prendre place sur les hauteurs de chaque côté de la route.
Blymmédès écarta les mains pour montrer la manœuvre.
— Maintenant, nous allons nous avancer au-delà de la position de notre infanterie cachée. Nous ferons semblant de n’être qu’un détachement d’éclaireurs, mais offrant l’occasion de s’emparer d’un officier stupide de la Taghmata impériale romaine. Les Sarrasins nous verront et s’avanceront pour profiter de ma témérité. Prudemment nous battrons en retraite comme nous sommes venus. Ils nous suivront, alléchés par la promesse de ma rançon. Quand notre retraite pêle-mêle aura attiré les Sarrasins au-delà des positions tenues par mon infanterie…
Blymmédès referma ses mains avec un claquement sec.
— Et vous traiterez avec l’ennemi selon vos propres termes, dit Haraldr, répétant un des axiomes favoris de Blymmédès.
— Oui, dit le domestique, dont les yeux noisette brillèrent à cette perspective. Mais il faut d’abord rencontrer l’ennemi, ajouta-t-il. L’embuscade ne fonctionne pas si l’on se contente de fuir. Il ne suffit pas de battre en retraite pour remporter la victoire.
Grégori fit semblant de traduire.
— Vous avez compris ? C’est ce que j’ai pensé. Le domestique estime que la stratégie romaine est devenue trop prudente. Mais il n’ira pas jusqu’à critiquer le grand domestique Bardas Dalasséna.
Blymmédès était déjà remonté en tête de la colonne. Il fit un signe à ses forces invisibles dans les collines. La route continua de monter, de plus en plus étroite ; de chaque côté, les murs de rochers s’élevaient de plus en plus haut. À la sortie d’un tournant apparut un défilé étroit qui se détachait sur le ciel cuivré. Blymmédès revint un instant en arrière, chuchota quelques mots à Grégori puis repartit.
— Ce sont les Portes de Cilicie, murmura Grégori. Le domestique voulait vous signaler qu’Alexandre a fait franchir ce col à son armée.
Haraldr hocha la tête. Alexandre de Macédoine, Alexandre le Grand, un roi grec qui avait conquis le monde jusqu’aux Portes de Dionysos avant que l’Empire romain existe. Alexandre passait davantage pour un dieu que pour un homme, mais le domestique faisait souvent allusion à ses tactiques et à son courage ; il semblait très fier de parler la même langue que ce demi-dieu.
Les cavaliers s’engagèrent
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