Byzance
hocha la tête. La voix du moine gronda de nouveau.
— Vous connaissez ce sceau ?
Haraldr fut stupéfait. Le bout du doigt étrangement écrasé du moine poussa un petit document plié, couvert de quelques lignes en caractères grecs, sur la table ; le sceau de plomb qui le fixait était intact. Haraldr se pencha en avant, et eut l’impression de s’avancer trop près d’une bête sauvage dangereuse. Il reconnut aussitôt le petit bras armé d’une épée : le même que sur le fragment de cire qu’il avait étudié mille fois. Le personnage complet était un homme en armure comme un officier de l’armée romaine.
— Oui, répondit Haraldr d’une voix sombre, je crois qu’il appartient à un meurtrier.
Puis ses yeux demandèrent en silence à Joannès : « Est-ce vous le meurtrier ? Si vous l’êtes, avant de mourir et de vous emmener avec moi dans le monde de l’esprit, je dois négocier pour les vies de mes hommes liges. »
Joannès jeta un coup d’œil rapide à une feuille posée devant lui ; le document était couvert de dizaines de chiffres romains, avec quelques lignes griffonnées en grec. Il se recula dans son fauteuil et dévisagea Haraldr. Celui-ci entendit alors un son faible, presque comme le gémissement d’un esprit venu des profondeurs. D’où venait-il ?
— Vous avez été la victime d’un complot, commença le moine. Le défunt manglavite avait un comparse dans le Palais. Un officier subalterne de l’armée romaine. Cet homme, privé de son revenu par la mort du manglavite, a voulu se venger de vous et a manigancé son complot avec une ruse de professionnel.
Haraldr acquiesça, et le soulagement monta en lui comme un vent chaud. C’était plus que plausible. Il avait peut-être accordé trop de crédit à son importance et à celle des Varègues parmi ces Romains ; ni lui, ni Halldor, ni Ulfr n’avaient envisagé que Hakon puisse avoir des amis à la cour, des subalternes capables d’agir à l’insu de Mar ou de Joannès. Cependant, le moine qui lui apprenait cela avait un visage auquel aucun homme ne pouvait faire confiance.
— L’assassin est déjà tombé dans les filets de l’implacable justice de notre Père. Désirez-vous voir la vengeance dont Dieu accorde le privilège à l’empereur des Romains ?
Les énormes portes métalliques au fond de l’antichambre s’écartèrent et deux hommes apportèrent sur un grabat un paquet enveloppé de toile. L’odeur d’intestins enveloppa Haraldr comme l’haleine d’un Carnivore hurlant. Ils posèrent le grabat et écartèrent la toile.
Le tas de chair, de tripes, d’organes luisants et de membres broyés était surmonté par un casque de viscères indescriptibles ; incroyablement, les dents de la tête claquaient encore.
— Oui, cette chose abjecte vit encore. Pour un moment. Vous pouvez l’achever, ou le laisser réfléchir encore à la vertu immuable et à la volonté implacable de la justice romaine.
Haraldr se détourna de ce spectacle horrible. Si c’était bien l’assassin, l’âme d’Asbjorn Ingvarson avait été vengée.
Joannès parla longuement, puis observa Haraldr attentivement pendant la traduction.
— J’ai appris que vous veniez de voir notre Père à l’instant. Permettez-moi de vous expliquer ce qui s’est passé, pour mettre votre esprit en repos. Sa Majesté impériale est entourée de cinq hommes comme moi-même. Certains d’entre eux, dont je ne fais pas partie, ont parfois des visions contenant d’extraordinaires prophéties. Sa Majesté impériale a eu l’impression que le moine que vous avez vu pendant votre entrevue était sur le point de connaître un de ces transports, et il n’a pas voulu vous troubler avec les convulsions du moine, car les paroles prononcées pourraient faire surgir des démons si elles étaient entendues par des oreilles innocentes incapables de leur résister.
L’interprète s’arrêta et conversa avec Joannès, apparemment pour tirer au clair une chose que le moine avait dite ; il reprit aussitôt la traduction.
— Nordbrikt, je sais que vous avez été récemment exposé aux fantaisies de danseuses nues et d’acteurs pervertis. Peut-être avez-vous pris des calomnies éhontées pour une représentation exacte de mon humble rôle sur le vaste théâtre de la puissance romaine. Vous devez comprendre maintenant que vous et moi avons simplement le même maître. Je suis l’ami de tous ceux qui aiment sincèrement
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